Mémoire Maître Prat PNL 24 juillet 2014
Mémoire pour l'obtention du titre de Maître-Praticien en Programmation Neuro-Linguistique certifié INLPTA
Institut Psynapse - 14, rue de Thionville - 75019 PARIS
Valeurs et croyances en Programmation Neuro-Linguistique,
un aperçu de la carte du monde des Terre-Neuvas
Agnès RUAUX - Promotion Juin 2013
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A mes ancêtres et à tous les Terre-Neuvas.
A mon ami Jean qui m'a raconté le Grand Métier et m'a ouvert sa carte du monde...
A l'association "Mémoire et Patrimoine des Terre-Neuvas" de Saint Malo.
"A travers les ans, j'ai fait le bilan de ce premier départ d'un train pas comme les autres et je crie très fort :
TERRIEN ECOUTE-MOI !
Si aujourd'hui on te disait :
- Tu vas partir cinq ou six mois, laissant femme et enfants, tes parents, tes amis, tes loisirs.
Que ferais-tu ?
Abandonner ta chambre contre un poste d'équipage de quelques mètres carrés. Ce poste où dorment et vivent dix-sept hommes.
Pour la toilette, eau de mer à volonté, ou un seau d'eau douce pour tous.
Laisser ton lit bien douillet contre une couchette superposée étroite et sans drap.
Ton petit déjeuner, tes plats préférés contre la gamelle du bord.
Pas de journaux, ni de radio, pas de nouvelles de nulle part, l'autarcie totale !
Travailler 16 à 18 heures par jour, par des froids et des cadences infernales.
Et parfois, te trouver devant une personne que tu détestes vingt-quatre heures sur vingt-quatre et cela durant cinq longs mois !
TERRIEN A LEUR PLACE, QUE FERAIS-TU ?
Je vais te dire : au moment du départ, tu déserterais !
Ou alors tout comme eux, tu te saoulerais à mort pour oublier, pour sombrer dans l'inconscience !
Mais attention, chez nous, le marin du départ n'est pas celui du lendemain. A bord, seuls le travail et la discipline compteront ! Les
débordements seront exclus et seule la cloche du fronton de la passerelle rythmera la vie du bord durant toute la campagne.
Il était de mon devoir de nettoyer cette image du marin trop souvent salie par manque de connaissance."
Lionel MARTIN
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TABLE DES MATIERES
Introduction
PREMIERE PARTIE : SYSTEMES DE VALEURS ET DE CROYANCES EN PNL
Chapitre 1 : Valeurs et croyances, deux notions fondamentales de la PNL
1. Qu'est-ce que la PNL ?
1.1 Origine
1.2 Définition
1.3 Notion d'expérience subjective
1.4 Quelques présupposés de la PNL illustrant la notion d'expérience subjective
2. Valeurs et croyances : une partie importante de notre carte du monde
2.1 Les valeurs
2.2 Les croyances
2.3 Il existe une connexion intime entre les croyances et les valeurs
Chapitre 2 : Le changement de systèmes de valeurs et de croyances à travers la Spirale Dynamique
1. La Spirale Dynamique, une matrice des niveaux d'existence humains
1.1 Origine
1.2 Définition
2. Passer d'un niveau à l'autre : le changement vertical
2.1 Opportunités du changement
2.2 Préalables au changement
2.3 Les 6 conditions du changement
2.4 Les 5 états du changement
DEUXIEME PARTIE : ILLUSTRATIONS ET MISE EN APPLICATION : VALEURS ET CROYANCES
CHEZ LES TERRE-NEUVAS
Chapitre 1 : "Croquis à main levée " de la carte du monde des Terre-Neuvas
1. Qui sont les Terre-Neuvas ?
1.1 Définition
1.2 Bref historique du Grand Métier
2. Illustrations des niveaux d'existence des Terre-Neuvas à travers leurs récits
3. L'oeil extérieur d'une océanographe en 1952 : "Racleurs d'océans" d'Anita Conti
4. L'association "Mémoire et Patrimoine des Terre-Neuvas" de Saint Malo
Chapitre 2 : Mon expérimentation de la Spirale Dynamique in vivo : entretien avec Jean
Introduction
1. Au commencement, des conditions de vie à terre
2. 1957 : départ en mer : modification des conditions de vie et nécessité de s'adapter
3. 1957 à 1960 : pas de changement vertical
4. 1960 à 1962 : le service militaire offre une trêve
5. 1962 à 1963 : Jean est ouvert au changement vertical mais se heurte à des obstacles
6. 1963 à 1969 : s'éloigner de ER-ORANGE pour se rapprocher de FS-VERT
7. 1969 à 1971 : régression
8. 1971 : contre toute attente, un insight surgit !
9. 1971 à 1997 : un nouvel état alpha
10. Le temps de la retraite
11. Quelques mots sur le développement durable
12. Synthèse
Conclusion
Remerciements
Sources
Annexe
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Introduction
Juriste de formation, rien ne laissait supposer que je rédigerais un jour un mémoire relatif à la
Programmation Neuro-Linguistique (PNL).
Pourtant, mes chemins empruntés et mes diverses expériences m'ont naturellement amenée vers
cette aventure.
Intéressée très tôt par le fonctionnement du cerveau humain, je me suis en premier lieu formée au
coaching mental en 2010. J'ai acquis ainsi mes premières connaissances en PNL.
Puis, un livre sur la gestalt Thérapie de l'ici et maintenant de Marie Petit et surtout deux ouvrages de
Fritz Perls datant de 1977 (Rêves et existence en gestalt thérapie et Le moi, la faim et l'agressivité)
retrouvés dans la poussière de la cave de mon voisin et sauvés in extremis de sa poubelle, ont été
pour moi à la fois un signe que je me trouvais sur le bon chemin et le déclencheur d'une soif
dévorante de connaissance.
J'ai alors décidé d'entreprendre un cycle complet de formation en PNL en imaginant que je ferai
bientôt de cette passion mon métier.
J'ai souhaité bénéficier de la formation la plus poussée en suivant une formation de Maître Praticienne
en PNL certifiée INLPTA (répondant aux normes internationales).
Ma certification aujourd'hui obtenue, je dois à présent la valider par une contribution personnelle à
l'enrichissement de cette discipline sous la forme d'un mémoire.
Observant à quel point il est aisé pour les êtres humains de "ne pas réussir à bien communiquer", j'ai
souhaité orienter mon travail sur la notion de carte du monde, de valeurs, de croyances et de
changement.
Mon sujet "Valeurs et croyances en Programmation Neuro-Linguistique, un aperçu de la carte du
monde des Terre-Neuvas" est une présentation de ce que la PNL peut apporter pour une meilleure
compréhension de l'intention positive qui se cache derrière tout comportement humain et le
changement qui peut être opéré par la suite.
J'ai choisi les Terre-Neuvas pour illustrer et donner vie aux concepts de PNL suite à ma rencontre
avec ces anciens pêcheurs qui ont connu des conditions d'existence exceptionnelles.
Ma question était de savoir d'une part, ce qui les motivaient à embarquer, d'autre part comment ils
parvenaient à s'adapter à d'aussi rudes conditions de vie.
Pour répondre à ces interrogations, j'ai, en quelque sorte, déplié sur mon bureau la carte du monde de
ces hommes et l'ai examinée à la loupe.
Et comme la PNL est une discipline résolument vivante, mon mémoire a suivi le sillage d'un de ces
marins pour mettre finalement le cap sur un tout autre horizon que je vous laisse découvrir dans la
deuxième partie.
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PREMIERE PARTIE
SYSTEMES DE VALEURS ET DE CROYANCES
EN PROGRAMMATION NEURO-LINGUISTIQUE
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Chapitre 1 - Valeurs et croyances, deux notions fondamentales de la PNL
1. Qu'est-ce que la Programmation Neuro-Linguistique ?
1.1 Origine
La PNL naît au début des années 70, fruit de la collaboration de deux chercheurs américains,
Richard BANDLER (mathématicien et docteur en psychologie) et John GRINDER (linguiste), fondée
sur l'observation de l'expérience humaine.
Ensemble ils décident de mettre en commun leurs connaissances : la psychologie, la linguistique, les
mathématiques et l'informatique pour étudier et modéliser trois thérapeutes de renommée
internationale :
Milton Erickson (hypnose)
Virginie Satir (thérapie familiale)
Fritz Perls (Gestalt)
Ils repèrent, décrivent, imitent les techniques de ces thérapeutes et les modélisent. Ce processus de
modélisation devient la toute première base de la PNL. Il s'agit d'une méthodologie scientifique qui
permet d'identifier, de décoder, de reproduire et donc de transférer à d'autres personnes des schémas
d'excellence.
Suite à cela, Richard BANDLER et John GRINDER mettent au point une technique issue de la
linguistique permettant de décrire comment une personne se représente le monde. Cette
technique, appelée méta-modèle et consistant à accéder à la structure profonde de la personne, fait
l'objet d'un ouvrage qu'ils intitulent Structure of magic.
D'autres personnes de génie ont contribué à enrichir la PNL. Citons entre autres :
- Grégory Bateson (anthropologue anglais), spécialiste de la systémique et fondateur de l'école Palo
Alto qui a révolutionné le champ des sciences humaines.
- Alfred Korzybski (ingénieur chimiste polonais), auteur de Science and Sanity où l'on trouve les
bases de la sémantique générale et d'où est issue la métaphore "La carte n'est pas le territoire"
devenue un prédicat incontournable de la PNL.
- Robert Dilts (chercheur, consultant, coach et écrivain américain) qui a développé de nombreuses
techniques de PNL dont son protocole de travail sur les niveaux logiques largement diffusé.
1.2. Définition
• "P.N.L" est l'acronyme de
P ROGRAMMATION (correspond au différents programmes mentaux conscients et inconscients)
N EURO (faisant référence au système nerveux)
L INGUISTIQUE (désignant le langage verbal et non verbal)
• C'est un processus d'éducation du cerveau
Pour reprendre la remarque faite par Richard Bandler avec humour dans son livre intitulé Un cerveau
pour changer, disons que "les êtres humains passent plus de temps à utiliser un mixer qu'ils n'en
passent à apprendre à utiliser leur cerveau".
En effet, savez-vous ce qui se passe dans votre tête quand vous réussissez de façon infaillible à
ouvrir la porte de votre maison ? Quand vous rédigez une lettre sans aucune faute d'orthographe ?
Quand vous résolvez un problème de géométrie ? Quand vous conduisez votre voiture ?
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Grâce à notre cerveau, nous pouvons faire des apprentissages que celui-ci encode sous forme de
représentations mentales pour en faire des automatismes (appelés méta-programmes en PNL), à la
manière d'un ordinateur.
En informatique, nous pouvons aisément modifier ou supprimer du disque dur les programmes
devenus obsolètes. Cela est plus compliqué quand il s'agit de notre cerveau. Car bien qu'il soit
largement plus performant et sophistiqué que n'importe quel ordinateur, c'est également la seule
machine qui soit livrée sans notice explicative.
La PNL est en cela un ensemble d'outils permettant de repérer et modifier les représentations
mentales qu'une personne s'est faites au cours de son expérience (dite subjective).
• Ce n'est pas de la psychologie
La PNL est descriptive
Elle se penche sur le COMMENT - elle s'intéresse au PROCESSUS - elle est orientée SOLUTION
COMMENT fait-il pour réussir (ou échouer)?
La psychologie est explicative
Elle s'intéresse au POURQUOI - elle s'intéresse au CONTENU - elle est orientée PROBLEME
POURQUOI réussit-il (ou échoue t-il ) ?
1.3. Notion d'expérience subjective : "La carte n'est pas le territoire"
L'être humain utilise inconsciemment ses propres filtres pour appréhender le monde qui l'entoure.
• filtres neurologiques : nos 5 sens VAKOG (Visuel, Auditif, Kinesthésique, Olfactif, Gustatif)
• filtres socioculturels : notre milieu culturel
• filtres personnels : notre éducation, notre histoire, nos expériences, l'ambiance familiale, les
traumatismes, les routines quotidiennes, nos croyances, nos valeurs, nos peurs, nos états
émotionnels ainsi que nos méta-programmes.
Chaque être humain se fabrique sa propre représentation de la réalité extérieure ("le territoire") et
élabore à partir de celle-ci sa "carte du monde". Ainsi, sa représentation du monde n'est pas le
monde, c'est pourquoi la PNL parle d'expérience subjective".
" Quand nous avons créé l'expression
PROGRAMMATION NEURO-LINGUISTIQUE,
beaucoup nous ont dit : "Ca fait un peu contrôle du
cerveau, comme si c'était mal... "
J'ai répondu : " Oui, bien sûr, si vous ne commencez
pas à contrôler et utiliser votre cerveau, vous
laisserez le hasard décider pour vous... "
En fait, nous mettons au point des moyens
d'apprendre aux gens à utiliser leur cerveau. "
Richard BANDLER
R. BANDLER J. GRINDER
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Une fois la carte bien établie, nous adoptons le langage qui lui correspond et nous nous exprimons
sous forme :
- d'omissions (sélection pour éviter d'être submergé par trop de stimuli extérieurs)
- de généralisations (catégorisations à partir d'exemples connus)
- de distorsions (modifications du monde extérieur)
Ce langage est en lien avec nos états internes (émotions), nos représentations internes (modes de
pensée) et nos comportements externes, tous représentatifs de notre carte du monde.
Bien entendu, ces filtres et mécanismes sont considérés par là-même comme des entraves à la
compréhension des cartes des autres, chacun possédant sa propre carte !
En revanche, connaître sa propre carte du monde est un puissant levier pour opérer les changements
souhaités dans sa vie.
1.4 Quelques présupposés de la PNL illustrant la notion d'expérience subjective
• "La carte n'est pas le territoire"
• "A chaque instant, je suis responsable de ma carte du monde,
de la manière dont je la dessine, l'utilise, la transforme"
• "Le comportement est cohérent avec le modèle du monde dont
il découle ; une personne fait le meilleur choix parmi ceux dont
elle est consciente"
• "Il y a une intention positive dans chaque comportement"
• "Ton attitude n'est pas ce que tu es, tu n'es pas ce que tu fais"
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2. Valeurs et croyances : une partie importante de notre carte du monde
Nous venons de voir que nous nous créons une représentation du monde extérieur à travers nos
filtres et mécanismes de sélection.
Parmi ces filtres, se trouvent nos VALEURS et nos CROYANCES. En PNL, l'ensemble des valeurs
d'un individu est appelé "système de valeurs" et l'ensemble de ses croyances "système de
croyances". Ils conditionnent nos pensées, nos émotions et nos comportements :
Robert DILTS a créé une grille de décodage indiquant les différents niveaux auxquels peut se situer la
conscience d'un individu à un moment donné :
Chaque niveau ayant un pouvoir sur les niveaux du dessous, c'est dire l'importance de nos valeurs et
nos croyances (situées au même niveau de la pyramide) qui agissent notamment sur nos capacités et
nos comportements.
2.1 Les valeurs
• Qu'est-ce que c'est ?
Nos valeurs représentent ce à quoi nous sommes profondément attachés.
On distingue :
Les valeurs de surface
Ce sont celles que nous échangeons et défendons au cours d'une discussion (exemple quelqu'un dira
"Pour moi, la liberté c'est important"). Ce sont celles dont nous sommes tout à fait conscients et que
nous manifestons au quotidien.
Parfois nous nous les sommes forgées et elle représentent nos idéaux, ce sont des valeurs
personnelles.
Parfois on nous les a transmises (valeurs sociétales, familiales etc.). En quelque sorte, "elles ne sont
pas à nous" et nous avons abandonné notre personnalité pour elles.
Les valeurs cachées
Ce sont celles que l'on a du mal à s'admettre soi-même ! Elles sont pleinement conscientes mais nous
ne les regardons pas en face...il peut s'agir de purs machiavélisme et manipulation de notre part ou
bien un simple mécanisme de protection.
Les valeurs profondes
Celles-ci sont totalement inconscientes et pourtant leur impact est immense.
Elles sont notre moteur, elles nous portent dans nos projets, sont à l'origine de nos motivations et
c'est en elles que nous allons puiser nos ressources.
SENS Quelle est ma MISSION ? = mes questions "métaphysiques"
IDENTITE QUI (suis-je) ? = l'image que j'ai de moi
VALEURS & CROYANCES POUR QUOI (faire) ? => mes motivations et mes stratégies
CAPACITES COMMENT ? = mon savoir-faire
COMPORTEMENTS QUOI (faire) ? = mes actions dans mon environnement
ENVIRONNEMENT Où et QUAND ? = ce à quoi je réagis (mon entourage etc)
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Elles décrivent COMMENT une personne pense (là où les valeurs de surface et les valeurs cachées
concernent CE A QUOI elle pense).
Des changements considérables peuvent avoir lieu au niveau des valeurs de surface sans que pour
autant les valeurs profondes soient affectées.
Dans le cadre d'une thérapie ou d'un coaching, le PNListe va accomplir un travail sur les valeurs
profondes et les valeurs de surface de la personne.
• Plus précisément, nos valeurs correspondent à une série de critères
Une valeur est plutôt abstraite et concerne des idéaux alors qu'un critère désigne des actions ou des
choix concrets.
- exemple de critères pour la valeur "liberté" : pour X c'est se lever à l'heure qu'il souhaite, pour Y
c'est ne pas avoir d'enfant...
- exemple de critères pour la valeur "respect" : pour X c'est ne pas interrompre quelqu'un quand il
parle, pour Y c'est d'abord tolérer les différences, pour Z c'est arriver à l'heure...
En d'autres termes, ce n'est pas tant la valeur elle-même (nominalisation, correspondant à la structure
de surface de la personne) qui compte mais le critère que l'individu exprime derrière ce mot
(équivalence concrète, correspondant à la structure profonde de la personne).
Pour dégager les critères qui se cachent derrière chaque nominalisation, le PNListe utilise un mode
de questionnement permettant d'obtenir des réponses plus précises et plus pertinentes : le méta-
modèle mis au point par Bandler et Grinder.
Grâce à cette technique, il peut non seulement les détecter mais également :
? les classer :
- par méta-programmes (nos modes de fonctionnement automatiques), notamment :
ATTRACTIF (la personne agit de telle manière pour aller vers)
REPULSIF (la personne agit de telle manière pour s'éloigner de)
D'OBJECTIF (la personne agit de telle manière pour atteindre un but)
DE MOYEN (la personne agit de telle manière pour mettre en place une stratégie)
DE POSSIBILITE (la personne agit ainsi par choix)
DE NECESSITE (la personne agit ainsi parce qu'elle pense qu'elle n'a pas le choix de faire autrement)
PROACTIF (la personne prend elle-même l'initiative et va de l'avant)
REACTIF (la personne attend que l'action vienne des autres)
- par besoins :
Abraham Maslow (1908-1970), a présenté en 1943 une classification des besoins humains sous
forme pyramidale, le besoin d'accomplissement personnel étant considéré comme un besoin ultime.
C'est seulement lorsque les besoins primaires ont été satisfaits que les suivants deviennent
réellement conscients :
5) besoins de REALISATION PERSONNELLE
4) besoins de RECONNAISSANCE et de RESPECT
3) besoins SOCIAUX
2) besoins de SECURITE
1) besoins PHYSIOLOGIQUES
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? les hiérarchiser :
Par différentes techniques de questionnement (comparatif et à vérification multiples).
2.2 Les croyances
Chacun de nous est en permanence en train d'attribuer un sens à ce qu'il vit et ce, en cohérence avec
sa vision du monde ; c'est notre "système de croyances".
Les croyances sont des affirmations conscientes et préconscientes à propos de ce que nous pensons
être vrai. Ce sont des opinions et non des faits car elles sont subjectives (issues de l'expérience) et
donc irrationnelles (sans rapport avec la logique).
Par là-même, notre système de croyances façonne : nos pensées, nos décisions, nos sentiments et
nos actes. Elles exercent une influence puissante sur nos vies.
Selon Robert Dilts, elles se présentent sous la forme de généralisations sur ce qui est perçu, à la fois
dans sa cause, ses conséquences et son sens.
Il s'agit donc d'un processus d'interprétation.
C'est pourquoi les conflits interpersonnels sont souvent des conflits de croyances où chacun se bat
pour imposer son point de vue, issu de sa carte du monde.
Plus précisément, les croyances sont des traductions de nos critères et de nos valeurs qui sont à leur
service. En somme, nous agissons en fonction de nos critères et de nos valeurs et nous
expliquons nos actions par des croyances.
Nos croyances nous renvoient à nos permissions. Une fois ses croyances identifiées, un individu peut
alors se demander si elles sont bonnes ou mauvaises...En fait, elles sont ni l'un ni l'autre.
Cependant la PNL distingue :
o les croyances limitantes (exemple : "Je suis nulle en navigation, j'ai tout oublié depuis mon
dernier stage de voile" sera une croyance limitante pour la personne qui souhaiterait naviguer)
o les croyances aidantes ("La navigation, ça ne s'oublie pas, même après des années sans la
pratiquer" sera une croyance aidante pour cette même personne)
La plupart des croyances sont héritées ; c'est à dire qu'elles nous sont transmises par nos proches
durant l'enfance.
Mais nous les fabriquons aussi tout seuls, suite à une expérience de référence marquante à partir de
laquelle nous avons tiré des conclusions (exemple du "Je le savais bien !" ou "Ca se passe comme ça
à chaque fois !").
Certaines son dites "globales" (exemple "La vie à bord d'un bateau est difficile")
D'autres sont dites "de règles" ("Si vous ne respectez pas les règles et les usages en mer, vous
aurez tôt ou tard un accident")
2.3. Il existe une connexion intime entre les CROYANCES et les VALEURS
Comme vu plus haut, toutes deux se situent au même niveau d'apprentissage dans la pyramide de
Dilts. Nos valeurs influencent et dirigent grandement nos objectifs et nos choix. Nos croyances
façonnent, influencent voire déterminent notre degré d'intelligence, notre santé, nos relations, notre
créativité et même notre capacité au bonheur et à notre réussite personnelle. "Lorsque les gens
veulent quelque chose et qu'ils y croient assez fort, ils trouvent la manière de le réaliser".
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Chapitre 2 - Le changement de système de valeurs et de croyances
à travers la Spirale Dynamique
1. La Spirale Dynamique, une matrice des niveaux d'existence humains
Pour qu'une situation, une expérience soit considérée comme positive ou désirable, elle doit satisfaire
certains critères qui nous sont personnels. C'est ainsi que nos critères sont à l'origine de nos
motivations.
Connaître son système de valeurs est utile en ce sens qu'il permet d'être aligné en toutes
circonstances et de vivre en phase avec le sens que l'on donne à son existence.
Cependant, l'être humain est complexe. Des valeurs ou des critères jadis reconnus et défendus ne
correspondent plus forcément aujourd'hui à sa vision des choses, sa carte s'étant élargie depuis.
Suite à ces changements, il va vivre intérieurement des conflits de valeurs se traduisant par des
comportements inadaptés, non harmonieux ou même de la souffrance.
Remettre à jour son système de valeurs permet de retrouver cet état d'alignement. Pour cela, la
Spirale Dynamique initiée par le professeur Graves propose des solutions intéressantes.
1.1 Origine
La Spirale Dynamique est le résultat de plus de 25 ans de recherches menées par le Professeur Clare
W. Graves (1914-1986) à l'Union College dans l'Etat de New York.
Elle présente des similitudes avec la hiérarchisation des besoins humains de la Pyramide de Maslow
(voir page 5). Elle propose en effet, que l'être humain traverse plusieurs niveaux d'existence au cours
de sa vie. Chaque niveau correspondant à des besoins propres à ce niveau.
Clare Graves nomma sa théorie ECLET (Emergent Cyclical Levels of Existence Theory) : la Théorie
de l'Emergence Cyclique des Niveaux d'Existence bio-psycho-sociaux mais ne publia jamais de livre
la récapitulant. C'est à son décès que le professeur Don Edward Beck (1937-) et Christopher C.
Cowan (un de ses anciens élèves) se donnèrent pour mission de faire connaître les travaux de
Graves et de les continuer.
En 1981, Don Beck quitta l'enseignement pour se consacrer à l'utilisation de la Spirale Dynamique
afin d'aider à la transition qui fit passer l'Afrique du Sud de l'apartheid à la démocratie. Il devint un des
conseillers privilégiés de Nelson Mandela.
Après la fin de l'apartheid, Don Beck devint le coach mental des Springboks, l'équipe de rugby
d'Afrique du Sud, qui devenait pour la première fois multiraciale et qui remporta la Coupe du Monde
en 1995.
Puis, Don Beck et Christopher Cowan fondèrent ensemble en 1988 la National Values Center à
Denton au Texas et renommèrent le modèle de Graves "Spiral Dynamics".
1.2. Définition
La Spirale Dynamique est un modèle, une matrice, une carte, qui permet de mieux comprendre le
fonctionnement du cerveau humain et qui permet d'identifier le stade d'évolution d'un groupe
d'individus ou d'un individu.
Cette cartographie de l'évolution humaine, qui met en évidence des étapes bien précises appelées
"niveaux d'existence", a été validée sur des milliers de cas.
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• Tout commence par les conditions de vie
Chaque environnement nécessite une certaine manière de penser et d'agir pour y être opérationnel ou
parfois tout simplement pour survivre.
Nous sommes plus de 6 milliards sur Terre et chacun d'entre nous a sa spécificité, sa carte du monde
: pour les uns, par exemple, la vie est un ensemble d'occasions à saisir alors que pour d'autres, le
monde est une jungle.
Ainsi, nos conditions de vie déterminent nos valeurs profondes lesquelles constituent un paradigme
extrêmement solide et résistant aux tentatives de changement.
A ce propos, le professeur Graves disait : "Quand un être humain est centré sur un niveau
d'existence, il a une psychologie propre à ce niveau. Ses émotions, ses motivations, son sens de
l'éthique et des valeurs, sa biochimie, son degré d'activation neurologique, son système
d'apprentissage, ses croyances, sa conception de la santé mentale, ses idées concernant les
maladies mentales et la manière de les traiter, ses conceptions et ses préférences en matière de
management, d'éducation, d'économie et de théorie et de pratiques politiques sont tous
caractéristiques de ce niveau."
Toutefois, aux grandes étapes de notre existence nous n'avons pas d'autres choix que de changer
nos valeurs profondes. Ce changement est possible grâce à nos capacités cérébrales.
• La plasticité du cerveau humain permet l'adaptation aux conditions de vie
Toutes les recherches actuelles des neurosciences confirment que le cerveau humain est un organe
profondément modulaire.
L'être humain se caractérise par sa profonde capacité à s'adapter au monde, lorsque ses conditions
d'existence changent et au contact des autres êtres humains avec lesquels il vit en interaction.
A chaque changement son cerveau se modifie, activant des capacités cérébrales qui lui permettront
de faire émerger un nouveau niveau d'existence.
Rappelons que chaque être humain dispose de toutes les formes d'intelligences reconnues
aujourd'hui (logico-mathématique, spatiale, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, verbo-
linguistique, intrapersonnelle, musicale-rythmique et naturaliste) mais que celles-ci ne se sont pas
développées chez lui au même degré.
De la même manière, un être humain donné ne dispose pas systématiquement des capacités
cérébrales lui permettant de s'adapter à toutes les conditions de vie. Cette capacité d'adaptation
pourrait être considérée comme une forme supplémentaire d'intelligence que certains individus
auraient développée plus particulièrement.
Parfois les conditions de vie changent sous la simple pression de l'environnement (exemple de la
dernière glaciation il y a 120 000 ans). D'autres fois c'est l'être humain lui-même qui modifie ses
propres conditions de vie. Face aux problèmes de l'existence, il invente des solutions qui génèrent à
leur tour de nouveaux problèmes auxquels il doit s'adapter.
Il est aisé de constater ce phénomène dans l'histoire de l'humanité. Par exemple la révolution
industrielle a résolu dans les pays qui l'ont vécue des problèmes de pauvreté excessive, de famine, de
santé, etc. Pendant plusieurs dizaines d'années elle a paru être la solution miraculeuse à tous les
maux. Pourtant, aujourd'hui nous réalisons qu'elle a eu un tel impact sur l'environnement qu'un
changement complet de paradigme s'impose à nous.
De manière plus générale, le professeur Graves faisait la remarque que "les solutions d'aujourd'hui
sont les problèmes de demain". Et plus il avance dans le temps, plus l'être humain gère des
situations complexes.
La Spirale Dynamique n'accorde pas une valeur particulière à cette aptitude à gérer un environnement
complexe.
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Aucun niveau d'existence n'est bon ou mauvais en soi et ne peut être jugé supérieur ou inférieur à un
autre. La seule chose qui compte est l'adéquation entre une personne, une entreprise ou une
société et ses conditions de vie. Il est utile de savoir activer le niveau d'existence le plus approprié
à notre environnement. Mettre en oeuvre un niveau qui serait adapté à un monde plus complexe
serait contre-productif.
• La Spirale Dynamique est une holarchie
La Spirale Dynamique n'est ni une typologie ni une hiérarchie mais une holarchie (du grec holos qui
signifie "tout", d'après le philosophe britannique Arthur Koestler (1905-1983)).
Une holarchie est un empilement de holons, c'est à dire d'éléments qui sont à la fois un tout en eux-
mêmes et une partie d'un système plus vaste.
Chaque holon "transcende", "inclue", "englobe" le précédent. Il ne le remplace pas, il lui apporte au
contraire des fonctions supplémentaires.
Dans la nature, il n'existe pas de hiérarchie, seulement des holarchies. A titre d'exemple, une cellule
du corps humain est située dans un organe dont elle est une partie. Cet organe est lui-même un tout
qui assume une fonction de manière relativement autonome tout en étant également une partie du
corps (exemple : cellule - ventricule - coeur - système cardiaque - cage thoracique - corps etc)
Le principe est identique dans la Spirale Dynamique : au sein d'un individu, d'une société ou d'une
organisation, plusieurs niveaux coexistent à un moment donné. Si un niveau est présent, tous ceux
qui l'ont précédé le sont aussi.
Par ailleurs, il est impossible d'éliminer ou de sauter un niveau d'existence : on ne peut pas passer de
l'enfance à l'âge adulte en faisant l'économie de l'adolescence.
• La Spirale Dynamique s'applique tant à un individu qu'à un groupe d'individus
La Spirale Dynamique reprend, avec toutes les précautions qui s'imposent, la loi biologique selon
laquelle le développement de l'évolution des espèces (phylogenèse) se produit dans le même ordre
que celui de l'embryon humain (ontogenèse). On peut considérer cela comme une conséquence
indirecte de la notion d'holarchie.
La Spirale Dynamique étant une holarchie, il n'est donc pas étonnant d'y retrouver un principe
similaire. Ainsi, pour le professeur Graves, la psychogenèse (développement de l'individu) récapitule
la sociogenèse (développement de la société).
• Méthode de notation des niveaux d'existence
Il serait tentant de penser qu'il est préférable de se situer à un niveau "supérieur" de la Spirale plutôt
qu'à un niveau inférieur. Comme déjà dit, cela serait non seulement inutile mais par ailleurs totalement
contre-productif.
Le professeur Graves résumait ainsi sa théorie :
"Je propose que la psychologie de l'être humain mature soit
un processus émergent et oscillant qui se déploie en
spirale et qui est caractérisé, au fur et à mesure que les
problèmes existentiels de l'être humain changent, par la
subordination progressive de systèmes de
comportements anciens par des systèmes nouveaux et
plus complexes."
15
Le professeur Graves préférait donc une notation sous forme de 2 lettres, la 1ère exprimant les
conditions de vie et la seconde les capacités cérébrales :
Le professeur Graves a formulé la notion de boucle et de déploiement en spirale, ayant l'impression
qu'il y avait des ressemblances les 1ers et 2èmes niveaux (AN et BO) et les 7èmes et 8èmes niveaux
(GT et HU)
Il a donc émis l'hypothèse (qui devra attendre la suite de l'évolution des niveaux d'existence pour être
confirmée) que tous les 6 niveaux, les êtres humains recommençaient à traiter "en boucles" les
mêmes problèmes d'une manière différente.
C'est pourquoi il a pris le parti de reprendre les mêmes paires de lettres en leur accolant le signe
prime (formé d'une seule apostrophe). Ainsi, GT est devenu A'N' et HU est devenu B'O'.
Par la suite, Christopher Cowen a utilisé des couleurs pour différencier les niveaux d'existence.
Pour une bonne compréhension, j'utiliserai dans mon mémoire à la fois les doubles lettres et les
couleurs (par exemple "ER- ORANGE" sera volontairement un pléonasme à seule vocation
pédagogique) :
Niveau
d'existence
Conditions
de vie
Capacités
cérébrales
correspondantes
1er A N
2ème B O
3ème C P
4ème D Q
5ème E R
6ème F S
7ème G (A') T (N')
8ème H (B') U (O')
L'avantage de cette notation permet de décrire à la fois des cas d'adaptation et des cas
d'inadaptation aux conditions de vie.
Supposons un monde où les conditions de vie sont E :
- un individu qui a les capacités cérébrales correspondantes (R) se situe en ER.
- un autre individu pourrait être incapable de s'adapter à cette situation et mettrait par exemple en
oeuvre de manière inadéquate les capacités cérébrales P. On noterait donc la situation EP.
Toutes les combinaisons sont possibles
16
Enfin, parce qu'ils ont eu l'impression que les niveaux d'existence se répandaient au sein de la
population humaine selon les principes de la mémétique ("Elément auto-répliquant d'une culture
transmis par imitation" Oxford English Dictionary), Beck et Cowan ont décidé au début des années
1990 de nommer les niveaux d'existence des v Mèmes (prononcer vi-mème) en faisant précéder le
mot mème d'un v pour valeurs.
J'utiliserai donc alternativement l'expression "niveaux d'existence" et vMèmes dans mon mémoire
pour désigner la même chose.
1.3 Présentation des 8 niveaux d'existence connus à ce jour
Comme nous l'avons vu plus haut, tous les 6 niveaux, les êtres humains recommencent à traiter les
mêmes problèmes d'une manière différente : c'est le fonctionnement en cycles (ou boucles) de la
Spirale Dynamique.
Chaque niveau d'existence décrit ci-dessous continue à nous habiter tout au long de notre vie. Il laisse
une trace comparable à un ADN et s'exprime à chaque fois qu'il est activé dans un contexte précis.
o AN-BEIGE : vivre en fonction de la physiologie et des possibilités de l'environnement
? Il n'y a aucune conscience d'un soi global, ni d'une appartenance sociale
? L'objet inconscient de l'existence est de rester en vie
? La seule communication possible est la satisfaction des besoins physiologiques
? Tant qu'il n'est pas rassuré en ce domaine, toute communication rationnelle ou
émotionnelle serait vaine.
Niveau
d'existence
Conditions
de vie
Capacités
cérébrales
correspondantes
Code
couleur
1er A N
BEIGE
2ème B O
VIOLET
3ème C P
ROUGE
4ème D Q
BLEU
5ème E R
ORANGE
6ème F S
VERT
7ème G (A') T (N')
JAUNE
8ème H (B') U (O')
TURQUOISE
Niveau
d'existence
Conditions
de vie
Capacités
cérébrales
correspondantes
Code
couleur
Motivations
Cycles
(ou
boucles)
1er A N
BEIGE seul
2ème B O VIOLET
Subsister
en groupe
3ème C P
ROUGE personnelle
4ème D Q
BLEU
Acquérir une identité
sociale
1
VIVRE
5ème E R
ORANGE matérielle
6ème F S
VERT
Assurer la satisfaction
émotionnelle
7ème G (A') T (N')
JAUNE l'Homme
8ème H (B') U (O')
TURQUOISE
Reconstruire
le Monde
2
EXISTER
17
? Eclairages :
Période d'apparition : premiers moments de l'Humanité il y a environ 100.000 ans
Traduction en mots clés : mode animal, instinct, réflexes
Psychogenèse : nouveau-né
Point de vue individuel : peur pour son intégrité physique, de devenir sans-abri, de la baisse de son
pouvoir d'achat, réactivation des peurs les plus profondes de l'être humain ("Que vais-je devenir ?").
Point de vue sociétal : il est difficile d'avoir une certitude sur l'existence actuelle de populations dans
lesquelles le seul vMème AN-BEIGE est activé.
o VIOLET : sacrifier le soi aux désirs des anciens et aux coutumes des ancêtres
? Le monde est mystérieux et effrayant. Il est rempli d'esprits qu'il faut se concilier
? L'appartenance à un groupe fondé sur les liens du sang et la réciprocité assure la sécurité
? Les anciens sont dépositaires des rites et des traditions indispensables à la sécurité
? Eclairages :
Période d'apparition : il y a 70.000 ans environ (datation de la trace de premier rituel humain)
Traduction en mots clés : fusionnel, magique, clan, rites
Psychogenèse : toute petite enfance (du nourrisson à l'enfant de 2 ans environ) : vie dans un monde
magique et protecteur (contes racontés avant de dormir, "doudous" et peluches rassurants, dessins
animés etc), "maman" (dans toutes les cultures, un des premiers mots prononcé par l'enfant).
Point de vue individuel : structures et valeurs familiales (rencontres familiales, cousinades,
généalogie, constellations familiales, fêtes de famille, pots de départs au travail avec les collègues),
vision magique du monde (jeux de rôles, astrologie, superstitions, horoscopes), médecines dites
naturelles... sens de la communauté fondée sur la réciprocité.
Point de vue sociétal : 10% de l'humanité (Afrique, Asie, du sous-continent Indien à la péninsule
indochinoise, de l'Indonésie à la Chine)
.
o ROUGE : exprimer le soi sans culpabilité pour satisfaire ses pulsions
? Exprimer le soi sans culpabilité pour satisfaire immédiatement ses pulsions
? Le monde est une jungle où les autres cherchent à abuser et où seuls la force et le courage
comptent
? Il faut se battre pour avoir le contrôle et le respect et pour échapper à la honte
? Les pulsions doivent être satisfaites immédiatement, que cela ait ou non des conséquences
sur les autres
? Eclairages :
Période d'apparition : il y a 10.000 ans environ (le temps des empires)
Traduction en mots clés : "je", puissance, domination, honneur, impulsif
Psychogenèse : l'enfant de 2 ans à 4 ans environ (le fameux stade du "non")
Point de vue individuel : être perçu comme fort, éviter la honte à tout prix, détruire tout ce qui bouge,
frauder, détourner, violer les règles
Point de vue sociétal : 20% de l'humanité (Afrique et Moyen Orient)
18
o BLEU : sacrifier le soi pour obtenir une récompense plus tard
? Le monde est contrôlé par une Vérité Ultime qui punit et éventuellement récompense
? L'obéissance à la Vérité Ultime donne un sens à la vie et à la mort. Elle est source de fierté
? Il importe, sous peine de ressentir de la culpabilité, d'accepter sa place, de suivre les règles et
d'inciter les autres à faire de même
? Eclairages :
Période d'apparition : il y a 6.000 ans environ (avant Rome, au moment de l'apparition de
l'architecture, des villes et de l'écriture)
Traduction en mots clés : hiérarchique, normatif, ordre, moralité, religion, vérité ultime, statut social
Psychogenèse : l'enfant de 5 ans à 11 ans environ
Point de vue individuel : la règle est intangible, sens de la communauté fondée sur une croyance
commune
Point de vue sociétal : 30% de l'humanité (en France : Eglise catholique, Etat Providence,
socialisme et communisme, grandes administrations telles que EDF, Education Nationale, lois et
règlements : "Nul n'est censé ignoré la loi", importance des diplômes qui garantissent un statut...)
o ORANGE : calculer pour ne pas déclencher l'agressivité des autres
? Le monde est plein de ressources et d'occasions de se créer une vie plus prospère
? Technologies, progrès et compétition sont les sources de l'abondance matérielle
? Les autres étant des concurrents, il importe d'être autonome et indépendant
? Eclairages :
Période d'apparition : intellectuellement : Renaissance il y a 600 ans (apparition de l'idée de
démocratie) / économiquement : 300 ans (Révolution Industrielle) / niveau dominant à partir de la
fin des années 1960 ("Les Trente Glorieuses" et apparition de la société de consommation)
Traduction en mots clés : rationnel, individualiste, compétition, "la gagne", rentabilité
Psychogenèse : crise de l'adolescence
Point de vue individuel : trouver sa satisfaction personnelle en se constituant, s'il le faut, des
réseaux de pouvoir et d'influence dont les membres se soutiennent mutuellement tant que chacun y
gagne quelque chose (contrat "gagnant-gagnant"). Les êtres humains sont des "ressources" qu'il
convient de "gérer" au mieux.
Vision positive de la vie, confiance en ses capacités, la personne apprend vite par essais et erreurs et
depuis n'importe quelle ressource, habitée par la croyance aidante "Si on veut, on peut !".
Point de vue sociétal : 30% de l'humanité
- Système qui a le plus de pouvoir et dont les intérêts font la politique mondiale : les pays pauvres
fournissent la main d'oeuvre et les produits bon marché ce qui permet d'assurer aux pays dominés par
ER-ORANGE plus de satisfaction matérielle.
- Apports positifs d'un point de vue du progrès (santé etc) mais également impact négatif gigantesque
sur l'environnement (épuisement des réserves, pollution).
o VERT : se sacrifier pour obtenir l'harmonie pour soi et pour les autres
? Le monde et ses ressources sont communs à toute l'humanité
? L'Homme doit être libéré des dogmes et de l'exploitation
? L'exploration de la vie intérieure et l'appartenance à une communauté sont prioritaires
19
? Eclairages :
Période d'apparition : début du XXème siècle
Traduction en mots clés : empathique, pluraliste, consensuel, ouverture, intériorité, harmonie
Psychogenèse : passage vers la quarantaine
Point de vue individuel : sens de la communauté fondée sur un lien personnel entre tous ses
membres, niveau d'existence où CP-ROUGE est le moins accepté, attirance pour un monde
d'émotions et de relations, recherches de relations affectueuses et harmonieuses, d'un management
fondé sur l'échange et la coopération, renonciation aux carrières prometteuses et aux salaires élevés
(voire attirance pour les ONG), relativisme et rejet de l'idée d'une vérité ultime (toutes les idées se
valent), les décisions doivent être prises de façon consensuelle, la Terre est un habitat commun de
l'humanité et ses ressources appartiennent à tous...
Point de vue sociétal : 10% de l'humanité - Niveau en cours d'émergence, aucune société ne
l'incarne aujourd'hui complètement (social-démocraties de l'Europe du Nord)
o JAUNE : exprimer le soi mais jamais aux dépens des autres pour que toute vie puisse
continuer de manière naturelle et fonctionnelle
? Le monde est un ensemble complexe de systèmes dont il est nécessaire d'assurer la viabilité
? Indépendance, savoir, compétences et flexibilité assurent l'indispensable estime de soi
? Recherche fonctionnalité maximale / consommation d'énergie minimale
? Eclairages :
Période d'apparition : années 1950-1970 chez des individus isolés ou à travers quelques micro-
organisations
Traduction en mots clés : adaptatif, intégrateur, flexibilité, interdépendance, systémique
Psychogenèse : âge adulte, grâce à des conditions de vie particulières encore peu répandues et
donc connues
Point de vue individuel : désintérêt pour tout ce qui est image, pas besoin de clamer ce que je suis
ni ce que je fais, centré sur la 2ème boucle de la Spirale Dynamique et capable par là-même d'activer
n'importe quel niveau de la 1ère boucle pour s'adapter aux conditions de vie.
Point de vue sociétal : 5% de l'humanité - Nulle part les conditions de vie ne sont telles qu'elles
permettent l'émergence d'une société centrée sur ce vMème.
o TURQUOISE : sacrifier, si nécessaire, le soi et celui des autres pour le bien de toute vie
présente et à venir
? Le monde est un seul grand organisme dont tous les éléments sont interdépendants
? La connexion à toute chose est le propre d'un être responsable
? Restaurer l'harmonie globale nécessite d'intervenir à tous les niveaux d'existence
La situation est la même qu'en JAUNE mais en pire :
? A chaque fois que la compréhension du monde par l'être humain s'affine, de nouvelles
interrogations apparaissent
? Cette complexité des problèmes nécessite une approche collective
? Le besoin d'une tribu se fait sentir une 2ème fois mais cette fois, la tribu c'est le monde tout
entier
20
? TURQUOISE restaure une harmonie globale et développe en ce sens une dimension
spirituelle forte
? TURQUOISE a une conscience très nette de son identité mais n'y attache guère d'importance
? TURQUOISE est à l'aise avec le hasard, le chaos et le paradoxe, ses méthodes de réflexion
utilisent ces concepts
? Eclairages :
Période d'apparition : il y a 30 ans - Durant les dernières années de sa vie, Clare W. Graves n'a
rencontré que 6 personnes centrées sur aucun des niveaux précédents.
Traduction : holistique, esprit global, connexion
Psychogenèse : adulte qui a connu tous les niveaux d'existence précédents et qui a les capacités
cérébrales pour passer au niveau suivant !
Point de vue individuel : le monde est un seul grand organisme dont tous les éléments sont
interdépendants, la connexion à toute chose est le propre d'un être responsable, restaurer l'harmonie
globale nécessite d'intervenir à tous les niveaux d'existence.
Point de vue sociétal : Nous ne possédons pas les outils intellectuels et techniques permettant de
traiter des systèmes globaux de grande taille.
2. Passer d'un niveau à l'autre : le changement vertical
La Spirale Dynamique distingue :
- le changement horizontal : l'individu ne change pas de niveau d'existence (ses valeurs profondes
restent les mêmes) mais adapte ses comportements et ses pensées (valeurs de surface) à ses
nouvelles conditions de vie.
- le changement vertical : l'individu remet en cause toutes ses certitudes sur la vie, sur les
personnes et sur le monde : il vit une transformation de ses comportements, de ses émotions, de ses
pensées et de ses valeurs profondes. C'est toujours une étape difficile, bien souvent une crise.
2.1 Opportunité du changement
Ce bouleversement ne peut s'opérer que selon des règles précises :
- respect de l'individu : "Les gens ont le droit d'être ce qu'ils sont, nom de Dieu !" répétait le
Professeur Graves.
- respect des étapes : rappelons le principe de l'holarchie selon lequel chaque niveau n'existe que
grâce à ses prédécesseurs.
- respect du délai incompressible : plusieurs années pour un individu (moins en cas d'urgence ou
grâce à un accompagnement), plusieurs générations pour un pays.
2.2 Préalables au changement
Toute personne, organisation ou société s'investit profondément dans son vMème dominant en étant
convaincue de la justesse de ses valeurs et de sa conception du monde. Tant que cette croyance est
absolue, elle ne peut pas envisager la simple possibilité du changement vertical.
Selon Clare W. Graves, il y a 3 attitudes face au changement (positionnement dit "AOC") :
21
- arrêtée : l'individu accepte plus ou moins que les niveaux d'existence précédents ont eu un intérêt
mais pense que rien d'autre ne suivra puisque la solution a été trouvée.
- ouverte : l'individu est convaincu que le changement est un phénomène inéluctable auquel il est
nécessaire de s'adapter, tout comme les niveaux précédents ont eu leur utilité et doivent être honorés
en tant que tel.
- coincée : l'individu a un mode de pensée binaire, rigide et propice à la généralisation, il est
profondément persuadé que rien de ce qui a précédé n'a d'intérêt et pour lui le système de valeurs en
cours est la panacée. Les réactions sont vives dès que le statu quo est menacé.
2.3 Les 6 conditions du changement
Selon le Professeur Graves, le changement vertical peut avoir lieu qu'à 6 conditions (qu'une seule
manque et le changement n'aura pas lieu ou ne durera pas) :
1 - posséder le potentiel cérébral : Cette idée peut surprendre mais elle est compatible avec la
vision actuelle de la plasticité du cerveau.
2 - avoir résolu préalablement les problèmes actuels : les problèmes du niveau d'existence actuel
doivent être réglés avant d'envisager de se lancer dans l'inconnu du niveau d'existence suivant.
3 - ressentir une dissonance : "On ne change pas une équipe qui gagne", dit la sagesse populaire.
De la même manière, on ne change pas un vMème qui fonctionne. Un problème crée la dissonance
s'il montre de manière évidente (suite à changement des conditions de vie et/ou à un
accompagnement) l'inadéquation entre le système de valeurs actuel et les conditions de vie.
4 - vivre un insight : l'individu sort complètement de son mode de pensée habituel : il repère ce qui
n'a pas fonctionné dans le niveau d'existence précédent et identifie ses nouvelles conditions de vie
afin de trouver une solution alternative.
5 - être à même de lever les obstacles : certains sont extérieurs (circonstances et personnes de
l'entourage), d'autres sont intérieurs (croyances, peurs...). Les seconds sont souvent ceux qui
empêchent le plus l'évolution.
6 - bénéficier d'une assistance : l'arrivée de l'insight et la levée des obstacles sont sources de joie et
d'excitation positive mais aussi de doutes et de craintes. Il y a un risque réel que le nouveau vMème
soit abandonné et qu'il y ait un retour vers les systèmes de valeurs anciens. Une assistance pendant
le changement et durant sa consolidation peut s'avérer utile voire indispensable.
2.4 Les cinq états du changement
Le changement vertical est rarement un long fleuve tranquille.
Clare W. Graves a identifié 5 étapes qui mènent du niveau d'existence au suivant :
22
• L'état alpha
La personne, l'organisation ou la société est persuadée qu'elle possède la solution aux problèmes de
l'existence. Les croyances, les systèmes de pensées et les comportements induits par le vMème en
cours sont considérés comme positifs et ne sont pas remis en question.
L'état alpha est un moment de stabilité mais pas forcément d'immobilisme, des changements
horizontaux considérables peuvent avoir lieu.
• Le point bêta
Au point bêta, rien ne va plus ! La personne, l'organisation ou la société est confrontée à des
problèmes que, confusément, elle sait insoluble par le vMème dominant.
Cela peut provenir d'un évènement cataclysmique, au sens propre (11 Septembre 2001) comme au
sens figuré.
Le point bêta n'est pas un moment de compréhension ou d'analyse. Il a souvent une forte tonalité
émotionnelle et laisse désemparé et en manque de confiance dans l'avenir. La surprise, la confusion
et l'inquiétude l'emportent.
Toutes les solutions possibles au sein du niveau d'existence en cours ont été essayées sans résultat
et aggravent même plutôt le problème; comme le faisait remarquer Paul Watzlawick "Faire plus de la
même chose" est une excellente stratégie pour "réussir à échouer".
• Le creux gamma
Face à la commotion que représente le point bêta et à l'inutilité de toutes les méthodes connues, le
sentiment d'impuissance, de désespoir et souvent de colère grandit. Que faire ?
Le nouveau niveau d'existence n'est pas encore disponible ; pire, il n'y a aucun indice de ce qu'il
pourrait être.
Face à ce vide, la réaction est d'essayer les vieilles recettes. Puisque le vMème dominant ne
fonctionne plus, les précédents sont encore disponibles et pourraient apporter la solution : c'est le
creux gamma. Le plus souvent, c'est le niveau d'existence qui précède le système de valeurs actuel
qui est utilisé.
Le creux gamma semble inévitable bien qu'inconfortable. Il est même bénéfique en ce qu'il donne la
certitude que la seule solution est bien le passage au niveau suivant.
• Le saut delta
Rien ne garantit qu'une personne, une organisation ou une société aille systématiquement au-delà du
creux gamma.
Faute d'avoir les capacités cérébrales voulues, d'avoir eu l'insight ou d'avoir levé les obstacles, elle
peut rester durablement dans le vMème qu'elle a réessayé ou retourner à son point de départ.
Le saut delta est marqué par un éclair de compréhension. Soudainement la solution est connue et les
moyens de l'atteindre sont disponibles. Le nouveau vMème est activé. Le changement est rapide et
source d'exaltation.
Il y a toutefois de faux sauts delta où la solution imaginée n'est pas la bonne. Cela provoque un retour
dans le creux bêta.
23
• Le nouvel état alpha
Peu à peu, la situation se stabilise de nouveau. Le niveau d'existence qui était essayé au saut delta
répond aux attentes. Le nouveau vMème est donc bien la solution aux problèmes de l'existence et un
nouvel équilibre s'installe...jusqu'au prochain point bêta.
Tout nouveau, tout beau, bien souvent le nouvel état alpha est propice à une attitude ARRETEE.
L'effort du changement vertical a été tel qu'il induit le désir qu'il soit le dernier et qu'enfin la solution
ultime ait été trouvée.
24
DEUXIEME PARTIE
ILLUSTRATIONS ET MISE EN APPLICATION :
VALEURS ET CROYANCES CHEZ LES TERRE-NEUVAS
25
Chapitre 1 - "Croquis à main-levée" de la carte du monde des terre-Neuvas
1. Qui sont les Terre-Neuvas ?
1.1 . Définition
Les Terre-Neuvas sont les pêcheurs qui, du 16ème au 20ème siècle, partaient chaque année des
côtes européennes pour pêcher la morue sur les grands bancs de Terre-Neuve au large du Canada.
On parle du Grand Métier ou de La Grande Pêche ou encore du Grand Banc pour désigner cette
profession.
Pêche à la morue sèche dite "pêche sédentaire" : elle se faisait le long des côtes, le navire
mouillait dans une crique et les hommes pêchaient le long du rivage à l'aide de chaloupes. La morue
était travaillée à terre (salée puis étendue à sécher à l'air et au soleil sur la grave) où les hommes
avaient construit des cabanes pour se loger et entreposer les cargaisons appelés chaffauds. Une fois
bien sec, le poisson était exporté vers les pays chauds.
Le marin à la morue sèche dormait au sec dans le chaffaud, sans roulis et en sécurité. Néanmoins, le
métier de gravier était exercé par des enfants soumis à des traitements comparables à celui des
esclaves et figure ainsi dans les archives parmi les plus durs.
Pêche à la morue verte : elle se faisait sur les bancs de Terre-Neuve, c'est à dire en pleine mer. Au
temps des voiliers, le navire mouillait quelque part sur le Grand Banc et les hommes embarquaient sur
des doris pour tendre et relever les lignes de fond. Cela causa bon nombre de disparitions et pertes
de marins. Avec l'arrivée du chalut, les hommes restaient dorénavant sur le bateau.
C'est de ce type de pêche dont il est question dans mon mémoire.
Ramenée à bord, la morue était piquée (vidée de ses entrailles sauf le foie qui était récupéré), puis
décollée (la tête coupée), tranchée (fendue en deux et ôtée de ses arêtes médianes). Elle était alors
énoctée (grattée pour retirer les déchets et le sang) et lavée par le mousse ou le novice dans l'eau
glacée de la baille qui l'envoyait ensuite dans la cale afin qu'elle soit salée (le saleur avait la
responsabilité de la bonne conservation du poisson durant toute la campagne). Tous ces hommes
avaient un travail bien précis à exécuter à un rythme infernal, sans un instant de répit. C'était un
véritable travail à la chaîne extrêmement éprouvant.
Les pêcheurs signaient des contrats d'engagement et était rémunérés à la part selon le poste qu'ils
occupaient. Le plus gros revenait à l'armateur.
Ils quittaient la France au printemps, effectuaient une traversée de 4 semaines et restaient sur les
bancs pendant près de 6 mois. Si la pêche était bonne, ils regagnaient Saint Pierre où ils
débarquaient la morue verte qui était soit rapportée en France par des navires appelés chasseurs, soit
séchée sur les graves de l'île par les graviers. Ils retournaient alors sur les lieux de pêche et, en
septembre, débanquaient pour mettre le cap sur la France.
La morue (gadus morhua en latin)
est appelée cabillaud quand elle est fraîche
(du Basque cabalio).
26
C'est le capitaine qui, après avoir sondé et étudié divers indices indiquant que le poisson se trouvait à
proximité, décidait de débuter la pêche.
Elle s'effectuait autrefois sur des voiliers comportant une trentaine d'hommes d'équipage. Les
pêcheurs montaient par deux à bord de petites embarcations appelées doris, pour faire la provision de
bulots destinés aux hameçons puis pour tendre les lignes. La relève des lignes se faisait le lendemain,
opération périlleuse car il leur fallait remonter le poisson pris à l'hameçon d'une profondeur de 60 à
100 mètres et la mer n'était pas toujours bonne. Les marins faisaient des allers et retours vers le
bateau tous les jours avec seulement 6 heures de repos et un seul jour chômé, le 15 août. C'est ce
qu'on appelait l'enfer des bancs.
A la fin des années 1950, les techniques de pêche traditionnelles sont abandonnées au profit des
chalutiers : dorénavant les hommes restent à bord et la morue est remontée sur le pont par raclage
des fonds à l'aide d'un chalut (gros filet en forme d'entonnoir traîné gueule ouverte par le bateau sur
plusieurs centaines de mètres de profondeur). A bord, le travail du poisson reste identique à celui
effectué sur les voiliers et les conditions de vie demeurent très difficiles.
1.2 Bref historique du Grand Métier
9ème au 15ème siècle : En 1001, les drakkars des descendants d'Eric Le Rouge, après avoir
séjourné en Islande et au Groenland, abordent à Terre-Neuve où ils maintiennent pendant 200 ans
des colonies dans ces régions. En 1390, des français partis de Cap-Breton et poursuivant les baleines
en Mer du Nord, découvrent Terre-Neuve à leur tour. D'autres ports français se mettent alors à armer
pour la Grande Pêche.
16ème siècle : Premières cartes de Terre-Neuve et ses environs, premières expéditions et
découvertes des indigènes - Terre-Neuve apparaît pour les catholiques, qui pratiquent le jeûne,
comme une région où l'abondance du poisson relève du miracle - les riches armateurs saisissent cette
opportunité et y envoient leurs navires pour travailler dans cette zone : c'est la naissance du Grand
Métier - arrivée des Basques de la côte nord de l'Espagne, créant "la pêche internationale". En 1534
Jacques Cartier y découvre plus de 100 navires de pêche français !
17ème siècle : Apogée de la présence française sur les Bancs de Terre-Neuve, Saint-Malo est la
capitale de la pêche morutière française.
du 18ème au 19ème siècle : Les français et les anglais n'ont de cesse de se disputer ces
possessions. En 1713, le Traité d'Utrecht fait perdre à la France l'île de Terre-Neuve, l'Acadie et la
Nouvelle Ecosse. Elle conserve toutefois le droit de pêche sur une partie de la côte qui allait être
appelée "French Shore".
20ème siècle à aujourd'hui : En 1904 le French Store est abandonné. Les départs pour Terre-Neuve
deviennent alors des expéditions de pêche sur les bancs et vers les îles de Saint Pierre et Miquelon
qui restent des possessions françaises. Paradoxalement c'est à cette période que le nombre de
navires atteint son maximum. Entre les deux guerres Saint Malo est le plus grand port de pêche à la
morue.
Les progrès techniques avec l'apparition des chalutiers à la fin des années 1950 augmente se façon
spectaculaire le volume des prises et la pêche devient miraculeuse. Mais les captures s'effondrent dès
les années 1970 et le gouvernement canadien n'aura d'autre choix que d'imposer un moratoire
presque total sur la pêche de la morue en 1992 mettant fin à l'industrie de la pêche à la morue de
Terre-Neuve : "Ce combat perdu face aux canadiens allait tourner bientôt la page de cinq siècles de
notre grande histoire morutière" (Lionel Martin).
En France, la Compagnie des Pêches
de Saint Malo est la seule rescapée de
l'histoire avec ses deux bateaux, dont
un traque le cabillaud en Norvège et
l'autre fabrique du surimi à base de
merlan bleu.
27
2. Illustrations des niveaux d'existence des Terre-Neuvas à travers leurs récits
L'épopée des Terre-Neuvas est retracée dans un nombre considérable d'ouvrages. J'ai sélectionné
parmi eux :
? "Sur le Grand-Banc - Pêcheurs de Terre-Neuve - Récit d'un ancien pêcheur" (anonyme)
En 1876, l'auteur s'embarque comme novice pour pêcher la morue sur le terre-neuva Elisa.
Plus qu'un témoignage, c'est un document d'une inestimable valeur tant il décrit avec précision la
traversée, la pêche, la vie à bord, le retour.
Ce qui m'a frappé dans ce récit du 19ème siècle, c'est que l'auteur y décrit tous les niveaux
d'existence de la Spirale Dynamique.
? "Le Grand Métier, Journal d'un capitaine de pêche de Fécamp" de Jean RECHER
Ce livre relate dans le moindre détail, la vie de cette unité de 60 volontaires que constitue un chalutier.
? "Nous étions les derniers terre-neuvas" de Lionel MARTIN
Lionel MARTIN, après 75 campagnes à Terre-Neuve et 8 dans le Grand Sud, est le seul capitaine
français à avoir pêché le krill dans la banquise de l'Antarctique et dans la plupart des mers du monde.
Ce livre mémoire est un témoignage d'un vécu extraordinaire dans un milieu où la discipline, le
courage et l'amitié scellent les bordées dans le seul but de gagner sa vie.
Il a été intéressant d'identifier les niveaux d'existence de la Spirale Dynamique au travers des récits
de ces hommes.
Rappelons la théorie du professeur Graves selon laquelle : "Quand un être humain est centré sur
un niveau d'existence, il a une psychologie propre à ce niveau. Ses émotions, ses motivations, son
sens de l'éthique et des valeurs, sa biochimie, son degré d'activation neurologique, son système
d'apprentissage, ses croyances, sa conception de la santé mentale, ses idées concernant les
maladies mentales et la manière de les traiter, ses conceptions et ses préférences en matière de
management, d'éducation, d'économie et de théorie et de pratiques politiques sont tous
caractéristiques de ce niveau.".
Il n'est donc pas surprenant que ces marins qui ont vécu leurs expériences à des époques différentes,
sur des bateaux différents, au sein d'équipages différents, mais à un niveau d'existence identique,
expriment tous les mêmes valeurs.
En voici quelques exemples :
AN-BEIGE :
? "Sur le Grand-Banc - Pêcheurs de Terre-Neuve - Récit d'un ancien pêcheur"
Le novice doit s'adapter à la douleur physique, le froid, la faim, la soif, le manque de sommeil, trouver
de la sécurité pour échapper à la mort. Dans de telles conditions toute communication rationnelle ou
émotionnelle est vaine.
? Pendant les campagnes que j'ai faites comme pêcheur à Terre-Neuve, j'ai vu de mes yeux,
que des atrocités peuvent se commettre là ; j'ai eu la chance de n'être pas victime, je
veux dire de ne pas y mourir comme beaucoup d'autres. Mais ceux qui douteraient qu'il
soit vrai qu'il peut exister réellement quelque part un pareil enfer, je raconte ici, en toute
simplicité, ce que j'ai éprouvé moi-même.
? A un point de vue général et supérieur, cette terrible profession montre quelle merveilleuse
capacité d'adaptation à toutes circonstances possède cet animal si absolument différent des
autres qui s'appelle l'homme et dont le propre est de dominer les milieux tout en les
subissant.
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? La limite est dans la capacité de chacun ; il faut arriver à ne plus sentir son mal, tout en
gardant la faculté d'accomplir sa tâche.
? Reprendre son chemin de croix après un court sommeil, pendant lequel vous n'avez guère
eu le temps que de vous dégriser et tout au plus de rafraîchir votre capacité de souffrir :
cela est horrible. A ce moment là j'ai vu de vieux matelots pleurer de misère.
? Beaucoup ne reviennent pas. Comment en serait-il autrement, dans un milieu où la part
normale de souffrances atteint des limites à peine supportables aux plus forts ? J'en ai
vu (et j'ai été quelque fois de ceux-là) qui n'avaient même plus la force de remonter sur le
navire.
? Marche ou crève est le mot qui se dit là, et qui se vérifie.
? Le moment le plus pénible était celui du lever. (...) Les peines très intenses que
j'éprouvais lorsque, au beau milieu d'un rêve qui m'avait transporté dans ma famille, j'étais
réveillé en sursaut par l'appel au quart ; véritables souffrances de damné celles-là.
? Il faut se lever quand même. Si on veut en sortir, le moyen n'est pas de s'écouter souffrir.
? Il fallut comme tout le monde me résoudre à rester dans des habits mouillés.(...) La laine
mouillée vous tient encore chaud.
? Je n'ai plus la force de manger. Depuis le lever, cela fait à peu près vingt heures
? Vous dire avec quel bonheur enfiévré comme je l'étais je sentais descendre ce liquide
dans la fournaise de mon estomac, serait difficile. Ceux-là seulement peuvent le
comprendre qui ont expérimenté la fièvre et la soif alors qu'ils n'avaient pas d'eau potable à
leur disposition.
? Après ces heures dangereuses, quelque agité que soit le navire et tourmentée la vie qu'on y
mène, je ne vois pas de maison solide et bien close qui m'ait donné pareilles impressions
d'aise et de sécurité.
? Quand on a froid ou faim, le bonheur prend vite la forme d'un abri bien chaud ou d'un
morceau de pain.
? A peine accostés, ceux du bord vous ont bien fait passer la "goutte" ou un "pichet" de vin,
vraiment bienfaisants....(...) alors quoiqu'en puissent penser les ennemis de l'alcool car là on
ne connaît plus les bouillons ni les consommés réconfortants : sans ce verre de vin ou d'eau
de vie, jamais on n'aurait le courage d'embarquer le poisson, les lourds paniers de
lignes et tout l'armement de la chaloupe, ni soi-même surtout.
? Il n'est pas trois heures du matin qu'il faut recommencer. Véritable paquet de douleurs, je
me traîne derrière avec les autres afin de boire une gorgée d'oubli.
? On sait bien que le tabac est un antiseptique.
? De leurs mains toute déchirées, toute pantelantes, ils ne pouvaient même pas arriver à se
boutonner.
? On n'a pas loisir de soigner ses mains écorchées et saignantes, ni même de distinguer son
propre sang et ses purulences des sanguinolences et des viscosités des tas de poissons
qu'on manie chaque jour.
? On n'est pas venu là pour s'apitoyer les uns sur les autres
? Je ne pouvais encore ni sentir ni deviner des sentiments humains sous la rude écorce de
mes compagnons.
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? Il faut reconnaître qu'il y a pourtant une excuse à ces brutalités. Dans un milieu où chacun a
déjà plus qu'il ne peut porter de souffrances physiques, il ne reste guère de place pour le
sentiment.
? "Le Grand Métier, Journal d'un capitaine de pêche de Fécamp"
Survivre sur une petite embarcation :
? Au milieu des baleines...
Le doris bondit littéralement sur l'eau. Le voilier est à deux milles environ. C'est bien loin avec
un tel voisinage. Ca souffle à bâbord. Ca souffle à tribord. Les baleines s'en donnent à coeur
joie. Emplissant leur estomac en plongée et leurs poumons en surface, elles exécutent un
véritable carrousel. Quand l'une d'elles brusquement (...) émerge dans le sillage, souffle et,
gagnant le doris de vitesse, passe juste en dessous. C'est un rorqual muni d'une énorme
nageoire dorsale qui frôle la sole du doris. La bête va t-elle s'acharner ? Dans ce cas, les deux
dorissiers le savent : ils sont perdus. Tous deux claquent des dents et pourtant ils sont en
sueur...
Mais non,ce ne sera pas pour cette fois.
A peine ont-ils pris pied sur le pont du voilier qu'ils entendent le capitaine tonner :
"- Les garces ! Les putes ! Peuvent point aller caracoler ailleurs ! Si ça les amuse, pas nous !
Merde à la fin !"
Déclaration que mon père et mon frère, à cette minute, jugèrent - on peut le comprendre -
tout à fait pertinente.
Sur ces "pirogues", les Terre-neuvas courraient "dans l'exercice de leurs fonctions" des
dangers qui, vraiment, dépassent l'imagination.
? ...ou en pleine tempête...
Les doris, pauvres feuilles de bois au milieu des éléments déchaînés, se débattaient dans la
tourmente. Halés par des muscles d'une puissance titanesque multipliée encore par la rage
et la brutalité de l'instinct de conservation, ils montaient sur les crêtes des vagues et
s'engouffraient dans leurs creux. Dans cette mer devenue sauvagement folle furieuse, la
goélette qui voulait les sauver était devenue pour les doris le plus menaçant, le pire ennemi.
(...) A chaque traction sur les avirons, les hommes poussent des hans formidables de
bûcherons (...) ils luttent avec un acharnement farouche contre la mort. (...) Une plaie
béante au front, il saignait affreusement ; mais il nageait par la force de l'instinct de
conservation.
BO-VIOLET :
? "Sur le Grand-Banc - Pêcheurs de Terre-Neuve - Récit d'un ancien pêcheur"
- Le clan familial qui est resté "au pays" : couper le lien quand la séparation est insupportable, le
rétablir au moyen d'une branche et d'une corde quand cela réconforte :
? Mon isolement s'agrandissait encore de ce fait que je ne pouvais écrire à ma famille.
? Un jour que j'étais allé chercher je ne sais quel vêtement dans mon coffre, la vue du bel
ordre qui y régnait et qui était l'oeuvre de ma soeur, évoqua si violemment les heures
de départ et me causa une telle angoisse que je bouleversai tout avec rage et fis disparaître
jusqu'au dernier pli de mes effets. Il me sembla que je m'arrachais le coeur mais j'aimais
mieux en finir d'un coup. Puis, je pleurai l'espèce de sacrilège que je venais de commettre.
? J'eus une bonne demi-heure pour me coucher sur le dos et regarder le ciel, en songeant à
d'autres cieux, surtout au ciel qui dominait les têtes de ceux qui m'étaient chers. Je me
rappelais la différence d'heures de mon pays et de celui-là. A un moment même, je passai
mon temps à tailler une branche pour la piquer en terre, dans le prolongement plus ou moins
approximatif de la corde qui devait sous-tendre l'arc terrestre qui partait du point où j'étais
pour finir à la maison de mes parents.
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- Le savoir des anciens
? Je fais le quart de deux heures à quatre heures du matin. Ce que j'ai eu d'inquiétude
pendant ces deux heures ! Et je pensais qu'il était bien imprudent de me commettre à
une veille pareille, moi tout jeune, et dans le sens duquel la vie des choses qui se passaient
ou pouvaient se passer n'avaient pas suffisamment pénétré. Chef d'orchestre à sa manière,
un vieux loup de mer sent la moindre fausse note, la plus petite discordance dans un tel
concert d'éléments déchaînés, alors que l'intelligence du jeune homme, qui n'a pas
l'expérience des choses, en est réduite à fonctionner sur des données purement
imaginatives. je veux perdre mon nom, si je ne suis pas allé cinquante fois voir l'heure dans
"l'habitacle" tant j'avais hâte d'avoir fini.
- La camaraderie, la protection, les "pères de substitution" :
? "Mes camarades de souffrance"
? Aussi, c'est là qu'on les voit, les vrais bons, les bons non après bien dîner, mais les bons
par pure volonté. Prendre sur la faim et la soif, sur ses blessures, sur tout un corps qui
tressaille de douleurs, pour venir volontairement en aide à celui qui vous semble supporter
plus difficilement que vous même son fardeau de souffrances : voilà de l'héroïsme. Ils sont
rares dans la marine, comme ailleurs, ceux qui le font. J'ai pourtant vu des matelots qui
m'ont produit l'effet de pères et dont je me suis toujours approché avec des sentiments
de petit enfant.
? Quelque fois un matelot plus habitué et charitable venait me dire "Signale donc tel feu que
voilà là-bas !"
? "Le Grand Métier, Journal d'un capitaine de pêche de Fécamp"
- Les superstitions des marins :
? Longtemps, les Yportais crurent au pouvoir maléfique ou bénéfique de certains d'entre
eux. Ils évitaient de rencontrer telle personne entre chien et loup sur une route déserte ou au
départ d'une marée de pêche, sachant à l'avance que des coups durs leur arriveraient.
Quelques mots, proscrits dans leur vocabulaire, leur faisaient rentrer la tête dans les
épaules quand un étranger, ignorant des conventions, les prononçaient devant eux.
De nos jours, cela est un peu atténué et les Yportais feignent de ne plus attacher d'importance
à ces histoires de sorcellerie mais on les connaît bien, ils demeurent, pour la plupart
d'entre eux, très superstitieux.
? "Nous étions les derniers terre-neuvas"
- Les symboles, les traditions, le cérémonial, le clan :
? C'est à Saint-Malo cheminant sur le sentier côtier, que je décidai de jeter mon caillou.
Pour l'ancien Terre-Neuvas que je suis c'est tout un symbole. En effet, jeter son caillou c'est
une tradition, elle s'applique à celui qui achève sa dernière campagne à Terre-Neuve avant
de prendre sa retraite, ou éventuellement à l'homme prenant la décision de quitter ce dur
métier.
A bord, c'est un petit cérémonial entre amis. Cela consiste à choisir un caillou remonté par
le chalut et d'y peindre ses initiales quand il est sec. Plus tard, il sera jeté à la mer durant la
traversée du retour. C'est alors l'occasion de boire le verre de l'amitié en retraçant la carrière
de l'homme.
C'est en pensant à cette tradition que machinalement, je me suis trouvé avec un petit caillou
en main. En le jetant en direction de l'océan a pensée s'en alla vers tous ces copains des
Bancs de Terre-Neuve dont les lointains visages défilaient devant mes yeux.
(...) Allez, au revoir, frères de misère !
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CP- ROUGE :
? "Sur le Grand-Banc - Pêcheurs de Terre-Neuve - Récit d'un ancien pêcheur"
- Le novice subit la domination et les abus d'autorité des matelots :
? Derrière mon dos on agite le bâton afin, comme on dit, "de me donner de l'huile de bras".
Un instant je me bute, n'en pouvant plus. Les coups me font demander grâce. On rit de mes
cris en les imitant. "Tiens, attrape, rosse, feignant ! Je parie qu'il va appeler sa mère
l'imbécile". Je vois encore rouge rien qu'à vous raconter ces scènes.
- Dans de telles conditions qu'il doit affronter seul, il n'a pas d'autre choix que d'abandonner les
valeurs rassurantes du clan qui caractérisent BO-VIOLET et d'activer CP-ROUGE qui lui apporte le
contrôle de soi, l'élimination de ses peurs et la résistance à la souffrance. A ce niveau d'existence il
peut avoir le recul nécessaire par rapport à ses émotions, évitant ainsi la honte et "être un homme" :
? Une fois sur le pont, je me reprenais et je regardais plus sainement, plus virilement la vie
que je m'étais faite.
? Et j'ajouterai, au risque de scandaliser les sensibilités délicates de notre époque : non
seulement des souffrances comme celles qu'on endure à Terre-Neuve sont nécessaires,
mais elles sont bonnes. Si la vie que j'ai essayé de vous dépeindre est dure, effrayante
même, j'en conviens, elle n'en est pas moins une fameuse école d'hommes et de
caractères.
? En lisant ces mots, plus tard, le souvenir de mes rudes compagnons de Terre-Neuve me
revint à la mémoire et je compris qu'ils avaient été mes meilleurs éducateurs, car ils
avaient plié mon caractère, tandis que les professeurs et les livres n'ont agi que sur
mon esprit.
? Sans doute le traitement auquel j'étais soumis "pour me mettre le métier dans le corps"
aurait pu être, sinon mieux choisi, mieux administré ; je dois dire pourtant que cette méthode,
malgré tout, me paraît meilleure que toutes celles, plus douces ou plus molles, qui vous
laissent à penser que la vie se compose de fins de non-recevoir. Lorsque chaque faute,
voulue ou non-voulue, est immédiatement suivie d'un rappel à l'ordre assez lourd pour
que les autres natures les plus insensibles en sentent le poids (ce qui n'empêche nullement
les intelligents et les délicats d'en voir la nécessité) il est impossible qu'on ne fasse pas
bientôt converger touts les forces de son être vers l'acquisition des aptitudes qui
manquent.
? En fait d'expérience pratique, il n'y a de vraie que celle qui passe dans la chair et dans le
sang, celle qui vous laisse une mémoire dans les muscles de la main et de tout le
corps. Seules ces disciplines écrasantes vous font vous assimiler et rendent nature en
vous, à brève échéance, ce que toutes les énergies de votre individu répugnent à accepter.
? C'est sur ce gaillard que j'ai pensé pour la première fois que la douleur et la mort ne
peuvent faire trembler que ceux qui n'ont pas lié avec elles une assez intime
connaissance. La douleur : j'y étais entré jusqu'au point où elle se transforme en insensibilité
; je savais désormais qu'il y a une capacité de souffrance déterminée pour chacun, une
capacité au-delà de laquelle il n'y a plus rien. La mort ! Plein de santé et d'aspirations, je
l'avais regardée bien en face, je m'y étais attendu souvent ; j'en avais par suite épuisé toutes
les craintes. La vie pouvait me réserver ce qu'elle voudrait désormais ; j'étais au-dessus de
ses déceptions. Je n'aurais jamais eu peur de rien si j'avais toujours su garder ces idées
présentes.
? Vous vous tromperiez si vous pensiez que la victime d'un accident de ce genre soit
dispensé de sa tâche. A ce compte-là, il n'y aurait plus un travailleur au bout de huit
jours. Et après-tout, on ne voit pas pourquoi les hommes ne feraient pas ce que
journellement ils font faire aux animaux. Si un homme est plus qu'une brute, il doit
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pouvoir plus qu'elle. Marcher, travailler tout éclopé, c'est le sort de la majorité des êtres et
c'est peut être aussi le meilleur moyen de ne pas trop sentir ses douleurs.
? On n'a pas le droit d'être malade. "Marche ou crève", c'est le mot qui se dit là et qui est vrai.
? Pères ou mères de famille qui êtes assez forts pour préférer au besoin la mort de vos fils à
leur conservation pour le mal, envoyez-les là, afin qu'en même temps qu'ils y apprendront le
prix du pain, ils y soient témoins de cet héroïsme qui s'ignore d'autant mieux qu'il est la
condition même de la vie, la loi de tous les jours. Qu'importent les risques ! S'ils sont
grands, le profit les dépasse et les justifie ! Car l'essentiel, c'est moins de conserver une
misérable vie que d'en rester maître jusque dans la souffrance et de savoir au besoin
mourir avec un esprit qui domine la mort.
? "Le Grand Métier, Journal d'un capitaine de pêche de Fécamp"
- Etre le meilleur pour éviter la honte :
? Une féroce émulation dresse l'amour propre d'un doris contre l'amour propre d'un autre
doris, l'amour propre d'un navire contre l'amour propre d'un autre navire. C'est à qui
pêchera le pus, c'est à qui "débanquera" le premier.
? "Nous étions les derniers terre-neuvas"
- "Etre un homme" :
? Dès l'âge de 8 ans j'ai su que la vie était un combat et qu'il fallait être armé moralement pour
réussir. A travers le métier de Terre-Neuve comme les copains j'allais l'apprendre à mes
dépens de mousse à capitaine.
? Les Terre-Neuvas étaient recherchés car ils étaient reconnus comme de rudes travailleurs.
? A travers toutes ces expéditions du bout du monde, je peux vous assurer que je suis fier
d'avoir ramené tous mes hommes au pays car l'isolement de ces longues campagnes
expérimentales fut terrible !
DQ-BLEU :
? "Sur le Grand-Banc - Pêcheurs de Terre-Neuve - Récit d'un ancien pêcheur"
- Le novice accepte sa place et obéit :
? Car il est entendu que les novices sont les domestiques de tous. Ils veillent pendant que
les matelots dorment ou réparent leurs vêtements. Sur un navire, alors même que le travail
est arrêté, il y a toujours quelque coin à balayer ou à laver, quelque amarre à jeter aux
embarcations qui accostent, quelques ordres à transmettre : tous ces soins incombent aux
novices dans les moments de repos général et gare à ceux qui s'oublient. Mais tout matelot
est passé par là, et après tout, ce serait une bonne école, si les leçons n'étaient trop
souvent accompagnées de sanctions injustes et exagérées.
? La règle inéluctable, le seul principe qui résiste là est que chacun doit faire ce qu'il s'est
engagé à faire.
? Marcher, travailler tout éclopé, c'est le sort de la majorité des êtres et c'est peut être aussi
le meilleur moyen de ne pas trop sentir ses douleurs
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? Vers minuit, je dormais profondément quand je fus violemment arraché de l'espèce de niche à
chien qui me servait de lit. Il paraît que tout le monde était sur le pont depuis une heure. (...)
Ce fut alors qu'un matelot s'aperçut qu'un novice s'était permis de ne pas entendre l'appel
et de dormir, pendant que tout le monde avait failli travailler. C'était le monde renversé.
- A bord d'un bateau, il y a des règles à respecter. Il y va du bon fonctionnement de l'équipage et
surtout de sa sécurité :
? Quand on voit les feux d'un navire en marche, le premier devoir est de s'assurer du bon
fonctionnement du fanal placé en tête du mât de misaine dans tout navire à l'ancre et si celui
qui marche n'a pas l'air de vous apercevoir, alors qu'il vient sur vous, on doit se tenir près de
la cloche du bord et sonner de toutes ses forces aussitôt qu'il vous semble qu'il est
suffisamment rapproché. La cloche quand on est à l'ancre et le sifflet ou la corne quand on est
en marche ; tel est le règlement.
? Alors qu'il ne faut plus quitter les environs de la cloche et la consigne est de sonner sans
hésiter dès qu'on a entendu quelque chose.
- Le novice est à la recherche d'un statut social : plus tard il sera capitaine !
? Je deviendrai capitaine et un jour j'aurai sous les pieds un navire où je serai "maître après
Dieu", selon l'expression consacrée.
? Sous mes grossiers vêtements de laine, j'étais aussi fier qu'un polytechnicien qui
endosse pour la première fois l'uniforme.
- En voyant flotter le drapeau de son pays, le novice ressent une forte émotion de fierté :
? Glissons encore, quoiqu'il en coûte sur le caractère éminemment français de ces pêcheries
du Grand Banc et des tous les Bancs qui avoisinent les maigres rochers de Saint Pierre et
Miquelon.C'est là, dans ces parages, que j'ai vu flotter en maître notre pavillon, que je l'ai
vu couvrir véritablement un esprit français, même chez ceux qui, comme les Canadiens,
Acadiens, Labradoriens, ne sont plus français de par la politique ou l'histoire.
? C'est à Saint Pierre que j'ai du de comprendre l'amour qu'on peut éprouver pour la patrie
dans ses prolongements coloniaux, à Saint Pierre.
? "Le Grand Métier, Journal d'un capitaine de pêche de Fécamp"
La religion catholique de DQ-BLEU...mélangée à la magie de BO-VIOLET :
? A Yport, on est résolument catholique ; on vénère le curé on se découvre et on se signe,
poussant même parfois la religion jusqu'au fétichisme.
On raconte qu'un patron de pêche, voyant le baromètre baisser et craignant le mauvais
temps, plaçait la statue de la Vierge auprès de lui pour le faire remonter.
Bander les yeux de DQ-BLEU pour pouvoir faire du CP-ROUGE :
? Pour pallier ces inconvénients et afin de ne pas user leurs matériels, quelques marins
Yportais adoptèrent une autre technique, sans doute moins honnête mais plus
astucieuse. Repérant les filets des grands drifters, ils les relevaient (...). Tous feux éteints
pour ne pas être repérés, ils secouaient les harengs sur le pont et refilaient les sennes à la
mer en essayant de ne pas les mêler. Quand ils jugeaient la pêche suffisante, il faisaient route
à terre pour la vendre dès l'aurore, un très bon prix, aux mareyeurs et petits revendeurs.
Pendant cette opération, ils prenaient soin de voiler d'une mitaine enfilée sur la statue
de la Vierge ou d'un foulard noué autour du crucifix, les saints témoins qu'ils ne
manquaient pas d'avoir à bord, afin de les bien tenir au dehors de l'affaire.
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Que voulez-vous, expliquaient-ils finement, le Christ et la bonne Vierge, ils nous
connaissent, nous comprennent, mais on ne voudrait en aucun cas les rendre complices et
que ce petit "arrangement" nous ferme les portes du Paradis."
? "Nous étions les derniers terre-neuvas"
Le respect des règles et la punition en cas de désobéissance, une nécessité à bord d'un bateau :
? C'est en novembre 1980 que l'on quitta Bordeaux, je devais y laisser un homme sur le quai. Il
était arrivé à bord depuis deux jours pour contrôler l'embarquement du matériel. Au lieu de
remplir sa mission, il est resté couché à bord en état d'ivresse. (...) Il avait trahi sa parole
avec le risque de nous handicaper durant le voyage par du matériel non embarqué. Une fois
parti en mer, on ne peut plus retourner faire ses achats pour les choses manquantes. (...)
Assis sur une bitte d'amarrage, appuyé sur ses sacs, le débarqué cerveau encore embrumé
d'alcool regarde le navire. Pour lui la campagne s'arrête ici. Intérieurement, je regrette d'agir
ainsi surtout que l'absence d'un homme nous pénalise, mais mon devoir est là au risque de
créer un fâcheux précédent.
ER-ORANGE :
? "Sur le Grand-Banc - Pêcheurs de Terre-Neuve - Récit d'un ancien pêcheur"
- S'émanciper et réussir : habité par la croyance aidante selon laquelle "Quand on veut, on peut", le
jeune marin saisit chaque opportunité qui se présente pour apprendre rapidement le métier, n'hésitant
pas à mentir par omission sur ses actions :
? Les hommes sont plus doux au retour ; j'en profite pour me faire expliquer un tas de
choses sur la manoeuvre.
? J'apprends aussi à gouverner le navire et je suis très fier de faire la barre, puis le bossoir, à
tour de rôle, comme messieurs les matelots.
? Il m'arrivait de recevoir des félicitations que je n'avais pas méritées.
? "Nous étions les derniers terre-neuvas"
- Se créer une vie prospère : la motivation de Lionel Martin à faire le métier de marin était de gagner
de l'argent pour pouvoir s'offrir des richesses matérielles. Pour son camarade c'était offrir à son père
un outil de travail plus convenable :
? C'est ainsi que voyant mes jeunes copains se faire de l'argent à Terre-Neuve, je me décidai à
embarquer. Tout comme eux j'aurais enfin un vélo et aussi une montre, des richesses
énormes à mes yeux, que je ne possédais pas ! (...) En traversée, j'avais questionné un
copain de Saint-Pierre de Plesguen aussi jeune que moi :
"- Pourquoi es-tu venu à Terre-Neuve ?
- Et toi ?
- Pour m'acheter un vélo !
- Moi pour gagner assez d'argent pour acheter un cheval à mon père parce qu'il laboure avec
sa vache !"
- La concurrence entre bateaux :
? Ce métier était impitoyable car à tous les échelons il y avait de la concurrence. Du mousse
au matelot, tout comme chez les spécialistes ; ramendeur, trancheur, saleur dont le but était
de devenir chef de bordée, maître d'équipage voire chef saleur ou chef ramendeur. Pour
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monter en grade à chaque campagne, il fallait être dans les très bons, sinon le meilleur
aux yeux du capitaine.
Ensuite, sélection faite, c'était les entrées successives durant plusieurs mois dans les écoles
maritimes d'hydrographie pour être lieutenant, puis second et enfin la consécration suprême
celle de capitaine !
? Aujourd'hui, 50 ans plus tard, les marques des trous sur mes poignets sont toujours visibles,
témoignage d'une époque où il fallait savoir souffrir pour gagner sa vie et surtout pour ne
pas perdre sa place. (...) Entre nous sur le pont, la concurrence était rude.
? Mais à ce poste suprême la concurrence est terrible. Personnellement, malgré l'adversité, je
n'ai jamais considéré un autre capitaine comme un ennemi, le mot ici n'a pas sa place, mais
celui d'adversaire, oui ! La pression mise sur nos épaules par les armateurs était terrible et
leurs intérêts étaient de nous mettre en concurrence à seule fin de produire davantage.
Nous savions tous, les uns et les autres que dans chaque armement, le plus faible d'entre
nous serait sacrifié sur l'autel des armateurs :
" -Un mauvais voyage cela passe, le deuxième ça lasse et le troisième ça casse !"
- Dans ces conditions d'existence, il faut user de stratégie et se créer des alliances. Les bateaux
"amis" sont "codés" entre eux, c'est à dire que, par le biais de messages codés, ils s'informent
mutuellement des zones riches en poisson. Il s'agit d'un contrat "gagnant-gagnant", chacun oeuvrant
en faveur de l'autre dans l'esprit "à charge de revanche".
- Mais lorsque les capitaines ont trop de pression, tous les coups deviennent permis. Dès lors que l'on
gagne la ruse est une excellente ressource :
? Ces capitaines étaient des observateurs hors pair car le radar n'existait pas. C'est donc à
l'aide des relèvements de terre qu'ils se situaient, ils s'accompagnaient de la sonde. (...) Je
crois qu'à toutes les époques, la rivalité entre capitaines a existé, chacun voulant
préserver ses acquis, ses secrets techniques pour ceux qui en avaient.
? Dans le cas présent, il s'agissait d'une énorme roublardise :alors que nous étions avec une
pontée de morues sur le petit Banc d'Holsteinsborg, le jeune capitaine Thomas donna un
ordre rapidement :
"- Couvrez tout le poisson avec des peaux de vache."Le travail effectué, il nous donna l'ordre
de rentrer dans le poste d'équipage. Une demi heure plus tard, le Pingouin de Saint Malo était
près de nous. Il en faisait aucun doute que le capitaine de ce navire jumelles en main, devait
nous inspecter. Ne voyant aucun poisson sur notre pont, il quitta les lieux.
? Quelques jours plus tard, en se portant plus au nord à travers des langues de banquise, nous
devions trouver seuls une grosse concentration de poissons. En deux coups de chalut, nous
étions avec une forte pontée de morues.
Une question se posa : fallait-il signaler notre découverte immédiatement ou bien
engranger un peu pour faire partie des meilleurs à la fin du voyage ? C'est cette solution
qu'adopta le capitaine. Il fut donc décidé de signaler aux bateaux codés avec nous 30
quintaux au trait alors que la réalité était de 300 quintaux soit 15 tonnes !
Du fait, 30 quintaux n'attirait personne. Mais le lendemain, un bateau se dégagea de l'horizon.
Jumelles en main il fut vite identifié c'était l'Arnaud Legasse qui de surcroît était codé avec
nous. Son capitaine André Deshaies en vieux renard des mers ne tarda pas à s'apercevoir
que nous étions gîtés à tribord par le poisson. Il demanda confirmation de nos 30 quintaux
signalés. A notre bord c'était la panique, nous avions menti et nous étions découverts. Une
solution fut trouvée : Jacques s'était trompé dans ses codes. Ce n'était pas 30 quintaux qu'il
fallait lire mais 300 !
Nos collègues du groupe acceptèrent l'erreur en maudissant notre radio, sauf le capitaine de
l'Arnaud qui avait vécu la supercherie et de ce fait cassa le code avec nous.
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- Nourrir les hommes pour qu'ils soient plus "productifs" :
? Tout bascula dans les années soixante, une bordée de jeunes capitaines a vite compris
l'importance de la nourriture pour le rendement de la production.
Tout d'abord une bonne liste de vivres, un bon cuisinier et boulanger, non seulement le pain
avait son importance, mais le boulanger était chargé des repas de minuit.
Cette année 1954, où je me trouvais à nouveau sur l'Islande, fut excellente en nourriture.
Pensez-donc, le dimanche on avait même du poulet et des fruits en boîte.
? "Le Grand Métier, Journal d'un capitaine de pêche de Fécamp"
De la notion de progrès à la notion de rendement : vers "l'homme-machine" :
? Ici il n'est pas question de journée de 8 heures. La loi du travail des Bancs, c'est le
maximum de rendement pendant le maximum de temps !
? Le travail n'est même pas limité par les forces humaines mais uniquement par
l'impossibilité de travailler. Sur les bancs, l'ordinaire du travail c'est 18 heures d'affilée.
? A Terre-Neuve, la machine (comprendre le chalutier) n'est pas le serviteur de l'homme ;
c'est l'homme qui est l'esclave de la machine. La machine peut travailler nuit et jour,
l'homme travaillera nuit et jour. Ce sont les travaux forcés sans discontinuité.
? Sur les chalutiers, la science s'est faite la complice de férocité sauvage de Sa Majesté la
Morue. Le progrès doit être le serviteur de l'homme, mais l'âpreté au gain des
armateurs a fait du Terre-Neuva l'esclave du progrès au service de la Morue...
FS-VERT :
? "Sur le Grand-Banc - Pêcheurs de Terre-Neuve - Récit d'un ancien pêcheur"
Le novice ne supporte l'idée que l'on exploite les être humains, notamment les enfants :
? Mais tout cela était en voie de changement : les moeurs allaient s'adoucissant. J'eu
cependant l'occasion d'y voir l'oeuvre des jeunes gens plus malheureux que je ne l'avais
été ; je veux parler des "graviers", enfants de douze à dix huit ans qui font sécher la morue
sur de vastes champs de galets appelés "graves".
? Je n'ai pas eu d'aussi profonds dégoûts dans les pays à moitié sauvages et devant des cases
de travailleurs pour lesquels l'esclavage n'était encore supprimé qu'en droit.
- Il reçoit la compassion de certains matelots :
? Un matelot me tire à part et me dit : " Il ne faut pas te laisser aller comme ça, mon grand
garçon. Cela ne durera pas. Je ne suis pas moins reconnaissant à celui qui vient de me
témoigner quelque pitié.
? Si j'avais à vous raconter celle que je fis l'année suivante, je vous présenterais dans un cadre
tout à fait semblable, des hommes capables encore de rudesse et de grossièreté, mais
capables aussi d'humanité et de pitié. Et je vous assure que cette pitié et cette humanité
avaient du prix.
- Il savoure la joie d'être ensemble, initiant même ses compagnons à la littérature :
? On manoeuvre avec un coeur et un entrain parfaits. Tout s'accomplit magiquement. La
gaieté est proportionnée à la vitesse du navire.
37
? En outre, plusieurs belles nuits me permirent encore de m'oublier moi-même et d'intéresser
plus d'un matelot de ma bordée aux récits de romans que j'avais lus. Entre autres, en
plusieurs séances, bien entendu, tout Monte-Cristo y passa.
Il se laisse porter par le sentiment d'être heureux et laisser s'exprimer son intelligence émotionnelle :
? Voir la mer tout autour de soi, être balancé dans une mâture, je ne concevais pas de bonheur
supérieur à celui-là. Le besoin d'infini qui me tourmentait prenait déjà dans mon esprit la
forme de la mer : mer, bonheur, c'étaient pour moi deux synonymes.
? J'eus d'abord une grande distraction dans une tempête qui dura trente six heures et qui ne
me parut pas trop inférieure à ce que j'avais rêvé. Une tempête loin des côtes et de tout récif
et lorsqu'on est à bord d'un navire qui se comporte bien à la mer, je ne sais pas de
spectacle plus beau, plus émouvant.
? Et puis, il était si agréable de rentrer tôt à bord, de finir tôt son travail et par suite, de pouvoir
s'oublier à lire quelques heures pendant l'après-midi ! A mon avis, on ne perdait pas à
payer ce plaisir de quelques risques et, en outre, tout danger quel qu'il soit, lorsqu'il me laisse
le loisir de poétiser à ma façon, me plaît.
? Celui qui n'a pas navigué ne peut comprendre le plaisir du marin à laver son linge dans de
la belle eau douce.
? Que je les trouve beaux ces navires long-courriers, si propres et si coquets à côté de nous
! Si je suis dégoûté de la pêche, je ne le suis pas de la navigation. Et je rêve toujours de long-
cours. Décidément, j'aime la mer, si je n'aime pas la pêche.
Il décrit le bateau comme un lieu de vie en communauté :
? Un bateau de grande pêche est une association très serrée, très étroite, où il n'y a pas de
"moi", où on n'a pas le droit de ne pas songer aux autres, de ne pas vivre pour le groupe
dont on fait partie. Là, toutes les unités sont nécessaires et il faut que chaque unité se
sente le droit de vivre qu'autant elle est utile au tout. Dans un pareil milieu on perd la
conception animale de la vie égoïste ; et inconsciemment on se forme la conception
humaine, la conception sociale et éternelle de l'individu vivant pour la communauté, par
laquelle seule il vit et il vaut.
? "Nous étions les derniers terre-neuvas"
- Au fond, FS-VERT n'est-il pas le meilleur niveau d'existence à activer pour commander ?
A chacun sa manière de commander à bord : l'agressivité de CP-ROUGE, l'obéissance rigoureuse de
DQ-BLEU ou bien le consensuel et la cordialité de FS-VERT :
? Chaque navire naviguait en autarcie, où le capitaine régnait en maître et commandait à sa
façon. C'est lui qui créait l'ambiance du bord.
A bord, lorsque le Vieux gueulait, le second en faisait autant et ainsi de suite, ce qui donnait
une ambiance exécrable sur le pont durant plusieurs mois. Sans compter qu'à force de
gueuler, les gens n'écoutaient plus.
Les meilleurs des capitaines que j'ai connus étaient des gens calmes. Grâce à mon mentor
Alphonse Cuguen, j'avais appris à être calme.
- Si vous donnez un ordre, commencez par dire : ce serait bien si tu pouvais faire ça.
Maintenant s'il ne l'exécute pas, vous lui donnez l'ordre impérativement.
- Quand vous allez avec le second vous occuper des malades et des blessés , n'oubliez
jamais de leur dire : ça n'est rien, je l'ai eu ! Vous verrez c'est efficace, il se plaindra moins !
- Mais Martin, si jamais un jour vous commandez, n'engueulez jamais votre second, car il
ne voudra plus prendre d'initiatives par peur de mal faire.
Cet homme était courtois et intelligent (...).
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- L'harmonie avec la nature et l'intelligence émotionnelle :
? Je peux vous assurer que j'ai mangé des centaines de mouettes et de dadins. (...) Ce n'était
pas un délice mais c'était de la viande ! Ce produit qui nous manquait tant à l'époque !
Avec l'arrivée de la nourriture à bord, cette pratique cessa à bord des bateaux. Depuis ce
temps-là, je suis devenu un fervent défenseur de la nature. Et cela se comprend, j'ai tout de
même été une trentaine d'année sans voir les oiseaux faire leur nid.
A la retraite, je fais une guerre incessante au chat de la maison pour corriger son instinct de
chasseur. Mais une question m'interpelle : au bout du fusil faut-il tirer sur la grive ou sur le
chat ? Maintenant, devenu vieux, aux petits matins du mois d'avril, j'enregistre les
formidables concerts d'oiseaux du printemps pour mieux les écouter l'hiver.
Vers A'N' ?
? "Sur le Grand-Banc - Pêcheurs de Terre-Neuve - Récit d'un ancien pêcheur"
L'auteur a donc parcouru les 6 premiers niveaux de la Spirale Dynamique : depuis AN-BEIGE
(survivre) à FS-VERT (exister et vivre en harmonie).
Mais au cours de son voyage, il regarde également le monde qui l'entoure comme un ensemble de
systèmes complexes et se laisse aller à la contemplation, au sens étymologique du terme :
Contemplation (dictionnaire Petit Robert) : Action de contempler - Le fait de s'absorber dans
l'observation attentive de quelque chose ou de quelqu'un - Concentration de l'esprit sur des sujets
intellectuels ou religieux - Voir méditation, Communion de l'âme avec Dieu - Extase - Mysticisme
Ces contemplations peuvent être largement comparées à l'état de transe hypnotique que la
profession définit ainsi : processus naturel qui consiste en une modification de l'état de la conscience
(conscience accrue dite hyperconscience), que tout individu connaît régulièrement, soit en se trouvant
accaparé par une pensée ou une idée (grande concentration), soit en se laissant aller à rêverie
passagère (distraction).
La PNL, effectuant un travail au niveau de l'inconscient de la personne, génère ces états de transe.
? Quelque fois accoudé sur la lisse, je regardais la surface de la mer ; je m'interrogeais sur
les causes et les fins de la vie qui grouillait là-dessous et bien entendu, je ne trouvais pas
de réponse.
? Comme le temps était beau, la manoeuvre était insignifiante. J'eus tous les loisirs nécessaires
pour me laisser aller à la contemplation.
? Pour moi, dès que j'ai une minute, je ne me lasse pas d'aller me coucher à plat ventre sur le
gaillard, la tête en dehors, à côté du beaupré. Je ne peux me rassasier de contempler cet
énorme bourrelet d'eau et d'écume que fend l'étrave et que refoulent les joues du bateau.
? Le soir du premier jour, j'avais longuement contemplé le spectacle grandiose d'une mer
vraiment en furie et je m'en étais comme grisé. Les tempêtes et toutes les choses énormes
d'ailleurs, n'ont jamais manqué de me mettre hors de moi. Mon enthousiasme fit croire à
plus d'un matelot que le cambusier m'avait gratifié de quelque ration supplémentaire. Il n'en
était rien pourtant.
? Je voudrais vous dire encore quelques mots des impressions que j'ai éprouvées la nuit,
lorsque je faisais le quart ou lorsque je couchais dans la chaloupe : je vivais comme en plein
rêve.
? Je ne me suis jamais endormi sans rêver longtemps les yeux grands ouverts, devant cette
voûte céleste étoilée ou sombre, que les secousses rapides de la chaloupe faisait paraître
d'une extrême mobilité.
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? Il m'est impossible d'entendre prononcer ou de lire des noms comme ceux de Valparaiso, de
Lima, d'Auckland ou de Yokohama, sans sortir de moi-même et tomber dans des rêveries
profondes.
? Que de fois je me suis perdu, si j'ose dire, dans l'âme des choses qui m'entouraient au
point de m'oublier et de demeurer stupéfait lorsque me revenait tout à coup le sentiment
de mon moi !
? Bref, je me dilate et je ne suis plus du tout le pauvre être triste et renfrogné que je
m'étais montré presque toujours.
? Quelques fois ces maudits vapeurs m'ont mis dans des transes abominables.
Le jeune garçon s'aperçoit qu'il a perdu la notion du temps et n'a pas vu certaines choses ; il a vécu
de véritables amnésies, caractéristiques à l'état de transe :
? Il m'est arrivé plus d'une fois d'oublier les heures et de faire une portion de la veille de
mon successeur, qui ne s'en plaignait pas.
? Je vécus si exclusivement dans l'idée anticipée du débarquement, que je ne vis rien autour
de moi. En tout cas, je n'ai gardé le souvenir d'aucun phare aperçu dans la nuit, ni d'aucune
côte vue dans le jour.
Le novice pratique la PNL sans le savoir :
- en réactivant les images que sont cerveau a encodées au cours de ses expériences subjectives.
Richard Bandler explique que les expériences subjectives (les "souvenirs") forgées par le cerveau
sont composés à 80% d'images mentales. Le novice en a pleinement conscience :
? Seul dans la nuit claire ou noire, quand toutefois je ne me laissais pas envahir par le sommeil,
j'en ai forgé des images...
? Ceci n'est pas une histoire composée ; c'est une histoire copiée sur les images de ma
mémoire et tout mon effort a porté sur l'éclaircissement de mes souvenirs. La vue est un
des sens qui enrichit le plus l'expérience.
- en décrivant ce qu'il vit à travers ses sens (notamment la vue et le kinestésique) tout en se rendant
compte que ses perceptions peuvent changer. Il s'agit là d'un mode de fonctionnement naturel du
cerveau : il est possible de modifier le ressenti d'une situation, c'est ce que la PNL appelle le
changement des "sous-modalités" :
? (Le retour à la maison) Tout est rapetissé. Est-ce parce que j'ai moi-même grandi ? Est-ce
parce que je sors des grands espaces où l'horizon n'a pas de bornes ? Tout me paraît étroit.
A mesure que j'arrive, même le bonheur de rentrer chez moi, je le trouve petit en
comparaison de ce que j'ai rêvé : c'est qu'il est, sans doute, de tous les âges, ce sentiment
de la disproportion navrante du rêve et de la possession.
? Je sens le monde s'agrandir en voyant disparaître ces côtes dont le seul nom me fait
frissonner d'aise.
? J'éprouvai encore une exaltation du genre de celles de la veille en entendant dire que nous
étions à la hauteur des Sorlingues. Je ne sais pas pourquoi ce mot me parut contenir quelque
chose de magique. Il me semblait que ma personnalité s'augmentait du fait d'avoir été
jusqu'aux Sorlingues.
- en faisant corps avec son environnement grâce à l'état de transe.
Cela ressemble de très près à la technique de la prolongation utilisée en PNL notamment pour le
traitement des douleurs et des malaises corporels psychosomatiques (l'individu se concentre sur la
surface de contact entre son corps et le support sur lequel il repose, en se représentant visuellement
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cette surface, pour ensuite imaginer que ce support prolonge son corps, puis que ce même support se
prolonge dans le sol, les murs etc...) :
? Que de fois je me suis perdu, si j'ose dire, dans l'âme des choses qui m'entouraient au
point de m'oublier et de demeurer stupéfait lorsque me revenait tout à coup le sentiment
de mon moi !
? Ce navire, je le regardais comme un être vivant ou bien j'en faisais comme un
prolongement de mon propre corps. J'étais religieux alors ou, pour mieux dire, je l'étais
dans un sens beaucoup plus spécial que maintenant et, dans l'obscurité pleine de silence,
les croix superposées de la mâture, les grincements qui en partaient à chaque houle, me
paraissaient comme l'élan et le cri douloureux de la matière vers Dieu et symbolisaient à
merveille mes aspirations vers l'infini.
Lorsque je regardais le long des flancs du navire, c'était elle (la mer) qui glissait sous nous, et si je
portais les yeux au large, j'avais le sentiment qu'elle nous emportait avec elle.
3. Le regard extérieur d'une océanographe en 1952 : "Racleurs d'océans"
d'Anita CONTI
Anita CONTI née Caracotchian (17 mai 1899 à Ermont, Val d'Oise - 25 décembre 1997 à
Douarnenez, Finistère) est la première femme océanographe française.
S'inquiétant dès les années 1940 des effets de la pêche industrielle sur les ressources halieutiques,
elle est à l'origine d'une prise de conscience sur les problèmes environnementaux, montrant que la
mer n'est pas une ressource inépuisable. A ce titre, elle est un témoin privilégié du monde marin et la
première en France à partager la vie des terre-neuvas.
Elle publie notamment Racleurs d'Océans où elle raconte la campagne de pêche de cinq mois
à Terre-Neuve à laquelle elle participe à bord du Bois Rosé en 1952. Elle y décrit des hommes
courageux qui effectuent leur travail dans la fureur des éléments, œuvrant à l'entretien du matériel, à
trier, nettoyer et saler le poisson, à des milliers de kilomètres de leur foyer. Mais malgré cette
admiration sans limite, elle reste lucide et s'affole des tonnes de morues salées ramenées.
Elle est une belle incarnation de FS-VERT voire de A'N' : "Je ne suis qu'une créature solide à travers
le vent".
Voici deux extraits de son livre :
o A propos des mousses :
"A bord, il y a des garçons de 14 ans. Eh bien ! Un enfant de 14 ans qui embarque pour le plus dur, on
lui demande de répondre à tout ce que peut vouloir l'état-major. Tout le monde a toujours besoin de
quelque chose. A qui demande-t-on ? Au gosse qui est à porté de voix.
Sur des ponts qui n'étaient pas protégés, de l'avant à l'arrière, de l'arrière à l'avant, les gosses
passaient et recevaient à chaque coup de roulis une saucée formidable de l'eau qui fouettait le
bordage. Or, quand le gosse était de fortune trop faible, il n'avait pas de rechange. Et vous entendez
bien des enfants de 14 ans qui passaient 3 à 4 mois à bord d'un navire, constamment brimés par des
adultes qui n'avaient aucune méchanceté, mais une inconscience absolue de ce que peut nécessité la
condition d'un enfant...alors ! Je peux vraiment dire que j'ai été témoin de cruauté.
Et malgré ça, moi qui ne suis pas une brute, enfin j'imagine ! Eh bien ! Malgré ça, je ne venais
pas au secours de l'enfant. Simplement, j'orientais les choses pour que les méchancetés se
reproduisent moins, de manière à conduire l'attitude générale vers une moindre lâcheté. La vérité ? Si
j'avais eu l'air de défendre l'enfant : on l'aurait complètement brimé. On aurait alors supposé qu'il était
protégé par un prolongement de la famille. Or ! Moi, j'acceptais la vie dure ! Eh bien ! Tant pis
pour le gosse ; il y passait aussi."
Anita Conti, est poussée naturellement à vouloir protéger l'enfant en prenant le relais de la famille
de sang qui est absente. Ce niveau d'existence correspond à BO-VIOLET : contagion des émotions,
liens familiaux, protection apportée par le clan...
41
Mais elle comprend qu'elle doit se résigner à y renoncer pour laisser l'enfant vivre son expérience et
lui laisser l'opportunité de s'adapter aux conditions de vie très particulières des terre-neuvas.
Pour cela, il est indispensable que l'enfant parvienne à se hisser au niveau d'existence CP-ROUGE
qui lui donnera l'indépendance, le recul nécessaire par rapport à ses émotions, le courage de
supporter le labeur et la force de se battre pour se faire respecter au milieu de cette "jungle".
En effet, à bord du chalutier, il y a peu de place pour les sentiments et la compassion, les jeunes
garçons doivent se comporter en homme.
Dans ce contexte, CP-ROUGE est le niveau d'existence sur lequel se positionne l'équipage.
o A propos des "racleurs d'océans" :
"Tuer, seul est rentable.
Et les images continentales s'imposent à mon esprit.
Les agriculteurs font pousser des végétaux, les éleveurs font reproduire leurs animaux. Tous
appliquent leur intelligence à produire, donc à faire naître et grandir. Ici, produire, ce n'est pas faire
naître, c'est tuer. Le problème se résume ainsi :
Par quels moyens capturer, donc détruire, le plus grand nombre d'individus dans le plus court laps de
temps avec le minimum de frais ?
La pêche est idéalement une industrie dont le point de départ est opposé à celui de toutes les autres.
Récemment, la disparition des espèces animales trop chassées et pourchassées a ému les
imaginations et au XXème siècle, même la recherche des animaux à fourrure accepte des
réglementations et parfois renverse son système, par exemple dans l'exploitation du renard. On ne
chasse plus le renard, on l'élève : c'est plus avantageux et ainsi ne s'éteindra pas la fortune.
Sur le sol terrestre, aujourd'hui, on produit méthodiquement.
Dans le milieu océanique on exploite, aveuglément."
Bien qu'elle se félicite de la régulation de l'exploitation de la nature, Anita Conti met en exergue
les valeurs cachées (pleinement conscientes, relevant de la manipulation et de la ruse et par là-
même pas toujours "politiquement correctes") des producteurs terrestres qui acceptent que leur
activité soit réglementée. Leur choix n'est dicté, non pas par des valeurs d'ordre écologique
(protection des espèces) de FS-VERT mais pour des raisons de pur rendement qui les maintiennent
au niveau de ER-ORANGE.
En revanche, les pêcheurs observés par l'océanographe en 1952 agissent de façon irréfléchie,
profitant de l'abondance des ressources naturelles des océans au risque de les vider de façon
irrémédiable. FS -VERT qui perçoit les effets néfastes de l'exploitation de la planète est encore bien
loin. Ici, le monde et ses richesses sont encore bel et bien au service de ER-ORANGE.
4. L'association "Mémoire et Patrimoine des Terre-Neuvas" de Saint Malo
"L'Association "Mémoire et Patrimoine des Terre-
Neuvas", créée en janvier 2004, a pour objectif
majeur de transmettre ce patrimoine inestimable
que représente la Grande Pêche malouine, grâce à
ceux qui l'ont vécue par force ou par admiration.
Notre but n'est pas de vanter une histoire terrible
par bien des aspects, mais de la rendre vivante et
d'expliquer en quoi la Grande Pêche a forgé les
valeurs, la culture, le caractère malouin."
"Notre musée a été officiellement inauguré le 9
avril 2013 en présence de nombreuses
personnalités locales. Monsieur René COUANAU
maire de St Malo et Monsieur Lionel MARTIN,
notre Président, ont coupé le ruban symbolique
ouvrant la porte de ce musée entièrement rénové
par une poignée de bénévoles.
Lionel MARTIN
Ancien Président de l'association
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"Mémoire et Patrimoine des Terre-Neuvas" est une association régie par la loi de 1901 ayant pour
buts : la collecte, la sauvegarde, la promotion, la mise en valeur, la transmission et la défense du
patrimoine historique, culturel, social et humain, lié à la Grande Pêche, à tous ses acteurs et son
environnement régional et ce, sous toutes formes appropriées.
Elle a vocation à nouer des liens avec les institutions et associations françaises et étrangères
poursuivant un objet similaire.
Ce caractère associatif est une belle incarnation de FS-VERT : appartenance à un groupe
aux valeurs communautaires...régi par des règles démocratiques...poursuivant un but non lucratif.., au
sein duquel l'intelligence émotionnelle est plus importante que l'intelligence logique...où chacun
détient une part de vérité et la raconte...
Parmi les nombreux témoignages, une lettre très émouvante est souvent publiée et lue au sein de ce
cercle, en hommage aux familles éprouvées par la perte d'un des leurs. Cette lettre, écrite par un
ancien mousse à sa mère pour expliquer la disparition de son père, a été lue lors d'une cérémonie en
novembre 2013 par un de ses descendants, provoquant une émotion collective très intense.
Cette communauté d'intérêt, de solidarité et d'entraide est ouverte au-delà des frontières bretonnes et
françaises.
Ainsi, en janvier 2010, en accord avec la mairie de Paris, une exposition de doris sur le parvis de
l'Hôtel de Ville a été organisée par l'association afin de commémorer l'action des terre-neuvas qui
allèrent au secours des parisiens lors des grandes inondations de 1910.
En 2011, c'est au Comité Economique et Social Européen que l'association a organisé une "Journée
Internationale d'Hommage aux Terre-Neuvas".
Le 29 juin 2013, l'association a inauguré un mémorial sur le port de Saint-Pierre et Miquelon et le 23
novembre suivant, un mémorial identique a été érigé à Saint-Malo, ces deux cairns symbolisant les
grandes migrations qui, annuellement, voyait des milliers de Terre-Neuvas quitter la métropole pour la
pêche à la morue.
Le but de "Mémoire et Patrimoine des Terre-Neuvas" est centré en BO-VIOLET : préserver
la mémoire et le patrimoine des anciens...
Les membres de l'association se réunissent autour d'une sorte de filiation commune, gardant le
contact avec ce passé à la fois individuel et collectif , le partageant avec des personnes de même
tradition.
"L'âme" des ancêtres est toujours là grâce aux réunions amicales, aux pots, aux repas, au musée, aux
recherche généalogiques, aux rituels (chaque samedi matin, au retentissement du son de la cloche,
les membres du bureau de l'association venus travailler rejoignent les autres afin de boire "le verre de
l'amitié" autour d'une table installée à cet effet).
Il n'est pas étonnant que BO-VIOLET soit prépondérant dans cette association puisque ce niveau
d'existence est encore bien présent dans notre culture, illustré notamment par l'engouement pour la
généalogie.
A ce propos, Lionel MARTIN disait : "Vous ne pouvez pas imaginer le respect et l'émotion quand
quelqu'un fond en larmes devant une vieille photo inconnue d'un proche au travail sur les bancs".
Pour ma part, c'est au cours des recherches faites sur la généalogie de mon père que j'ai appris que
plusieurs de mes aïeux avaient été des terre-neuvas. Animée par les valeurs de BO-VIOLET, j'ai
rejoint l'association.
Cette activité associative est positionnée également en DQ-BLEU : sens de la moralité et du
devoir ("le devoir de mémoire", qui peut être perçu comme une forme de loyauté envers les anciens),
idée d'une certaine Mission (sauvegardé, transmettre le patrimoine des ancêtres)...
...valeurs et traditions familiales, nationales, religieuses...Ainsi, à l'occasion du 10ème anniversaire de
l'association, un cairn en souvenir des marins disparus à Terre-Neuve a été érigé sur le port de Saint-
Malo, en présence de 300 personnes dont de nombreux descendants.
Ce monument a été inauguré, par le président de l'association, le maire de Saint-Malo, la sénateur-
maire de Saint Pierre, en présence de nombreuses personnalités civiles et militaires. Monseigneur
Souchu, évêque de Rennes, après une prière en souvenir des marins disparus, a béni la stèle.
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Saint Malo : cairn à la mémoire aux marins de Terre-Neuve disparus
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Chapitre 2 - Mon expérimentation de la Spirale Dynamique in vivo :
entretien avec Jean
Introduction
C'est au musée de l'association "Mémoire et patrimoine des Terre-Neuvas" à Saint Malo que j'ai fait la
connaissance de Jean, alors que j'observais la photo d'un chalutier recouvert de glace. Nous nous
sommes lancés spontanément et naturellement dans une conversation au sujet du froid qui régnait
sur le pont de ces bateaux et des conditions de travail tout à fait particulières des Terre-Neuvas.
Alors que Jean me racontait l'une des ses expériences, je me suis rappelée combien la PNL était
vivante et trouvait son véritable sens dans sa pratique.
Sentant Jean pleinement associé à ses souvenirs (en observant notamment ses mouvements
oculaires), je lui ai proposé de participer à mon mémoire dont le sujet était "Valeurs et croyances de
Terre-Neuvas".
C'est ainsi que Jean a généreusement accepté de se prêter comme sujet in vivo.
Nous avons fait 3 séances sous la forme d'interviews au cours de laquelle il m'a raconté son histoire,
depuis son enfance jusqu'à aujourd'hui.
Je suis partie d'un a priori en pensant que j'allais écouter les souvenirs passionnants d'un "vieux loup
de mer"...mais il en a été tout autrement ! En effet, comme nous le verrons, sur une quarantaine
d'année d'activité professionnelle, Jean n'a exercé le métier de Terre-Neuva que durant 3 années.
Voilà qui modifiait le plan de mon mémoire ! C'est en cela que la PNL est passionnante : le praticien
ne sait jamais sur "quoi" il va tomber !
Ce chapitre n'a pas pour vocation d'étudier le fonctionnement complet de Jean du point de vue de la
Spirale Dynamique.
- d'une part, cela consisterait en une tâche, certes formidablement intéressante, mais gigantesque !
- d'autre part, je ne me trouvais pas dans un contexte de thérapie ou de coaching, Jean ne m'ayant
aucunement formulé de demande en ce sens. Cela explique que j'ai volontairement limité l'utilisation
des outils de la PNL afin de respecter et préserver son système de valeurs et de croyances
Par conséquent, il est évident que je n'ai pas eu accès à toutes ses valeurs profondes. Toutefois, je
pense pouvoir dire qu'au cours de ces 10 heures de conversation Jean m'a livré un large aperçu de sa
carte du monde.
Je me suis alors donné pour challenge d'expérimenter sur elle les principes de la Spirale Dynamique.
Cette partie de mon mémoire est donc en quelque sorte un essai de psychogenèse de Jean.
1. Au commencement, des conditions de vie à terre
Jean naît en 1940 à Château- Malo, Lieudit le Point du Jour (St Servan). Il y vit avec ses parents, ses
deux frères et sa soeur.
Il a 8 ans quand il entend les terre-neuvas de Paramé (devenu par la suite un quartier de St Malo)
parler de leur métier. Parmi eux, se trouve son oncle auquel il voue une grande admiration. Puis c'est
au tour de son frère aîné d'embarquer pour la première fois en 1949.
Depuis la terre, Jean apprend beaucoup du métier de terre-neuva, notamment la "misère" que
connaissent les marins (comprendre "l'âpreté", "la dureté" des conditions d'exercice de ce métier) et
les expériences douloureuses qu'ils vivent loin des leurs.
Il accompagne régulièrement son oncle et son frère à l'embarquement pour la campagne, est marqué
par cet instant pénible que constitue le passage des écluses et qui correspond au moment fatidique
de l'adieu à la famille.
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On peut dire qu'il mène alors la vie insouciante de la plupart des enfants de son âge : il est entouré de
sa famille, il joue aux billes avec ses copains, obéit plutôt à ses parents mais fait sans doute aussi
quelques bêtises.
C'est à partir de 13 ans que son père le fait travailler l'été à la ferme du voisin : "Je gagnais un peu de
sous, c'est à dire que j'étais nourri et à la fin de la semaine le patron me donnait un peu de monnaie,
moi ça me suffisait et tout le monde était content. Comme ça, je n'étais pas dans mon village à ne rien
faire. Mon père ça lui plaisait parce qu'il savait que je n'étais pas fainéant. Mon père n'aurait jamais
accepté que je reste à rien faire dans le village, à jouer aux billes ! Donc il s'arrangeait toujours pour
me trouver du travail l'été. Ca m'a appris la valeur du travail, d'être commandé par le patron qui me
disait "Fais ci, fais ça" ou "Fais pas ci, fais pas ça".
Quand Jean arrête l'école, il dit à ses parents qu'il veut être électricien, sans finalement trop savoir
pourquoi. Il cherche un poste d'apprenti mais EDF ne faisant pas appel à ce type de main d'oeuve, il
abandonne cette voie.
Son père lui propose de devenir marin comme son frère. Connaissant ce métier pour l'avoir vu
pratiqué dans son entourage notamment familial, Jean accueille cette idée : "Ca a fait un déclic dans
ma tête."
En partant à Terre-Neuve, Jean va avant tout, enfin "travailler, découvrir un métier". Pour l'heure, il ne
s'agit pas de rêver d'aventure même s'il faisait partie des 3 seuls élèves sur 150 qui s'embarquaient
pour Terre-Neuve (les autres allaient au commerce) !
Plus précisément, en exerçant un métier, il va opérer un tournant dans sa vie, à savoir quitter le statut
de garçon pour devenir un homme.
Cette idée surgit en effet le jour où son père a une parole à son encontre : "Gagne ton pain, je te
nourrirai."
Cette phrase, qui crée une dissonance dans l'existence de Jean, lui fait ressentir une certaine
souffrance : "J'ai accusé le coup. Je me suis senti blessé dans mon amour propre. Parce que quand
t'es gamin et que t'a pas encore commencé dans la vie du travail, tu te dis "- Bon sang, qu'est-ce qu'il
vient de me dire là ? J'ai intérêt à trouver du boulot !"
Mais Jean réagit sans tarder : "Ca m'a motivé pour aller travailler. Parce que je me suis dit que je serai
fier de revenir et que j'aurai plus de reproches. Parce que j'aime pas tellement les reproches qui ne
sont pas valables...Je suis allé rue de Toulouse, à l'école d'apprentissage maritime, j'ai fait 9 mois
d'école pour obtenir un fascicule pour pouvoir embarquer."
Suite à ces démarches, Jean est engagé par la Compagnie "Les chalutiers malouins" pour embarquer
sur "Le Hardi" et, tout à fait par hasard, avec son frère.
Son frère et son oncle qui connaissent déjà bien le métier, le mettent en garde contre "la misère" que
représente le travail sur le pont : "Quand ils ont su que je voulais aller à Terre-Neuve, ils m'ont dit :
"Oh la la...écoute, on va te dire comment ça se passe vraiment sur le métier...et on peut te dire déjà
que c'est la misère, tu vas en baver ! Et tu vas certainement plus d'une fois pleurer ta mère !
Et ben j'ai dit : "On verra bien !".
Moi je suis d'un caractère très déterminé, je suis volontaire, si j'entreprends quelque chose je vais
jusqu'au bout. A partir de là, moi je ne voulais pas me désister en rien. J'avais décidé d'y aller, j'y
allais."
Vient ensuite l'achat du sac de marin qui contient les produits de première nécessité. Ce bagage, dont
va dépendre la vie de Jean à bord et notamment sa santé (pour ne pas dire sa survie), fait l'objet d'un
contrôle minutieux de son frère.
Puis, Jean embarque...
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Jean à Terre-Neuve en 1957
A son retour au bout de 5 mois, il s'empresse d'offrir un peu d'argent à son père :
"- Tu vois papa, un jour tu m'as dit "Gagne ton pain je te nourrirai"...maintenant, ça y est !"
Il m'a pris par l'épaule, il m'a dit, c'est bien mon gars. A partir de là, il était heureux pour moi, il m'a fait
comprendre qu'il regrettait plus ou moins ce qu'il avait dit...mais moi surtout je lui faisais comprendre
"T'as plus à t'occuper de moi maintenant. Maintenant je vais gagner des sous et roulez !""
SYNTHESE DES NIVEAUX DE VALEURS APPARENTS A TERRE
AN-BEIGE :
? la phrase de son père "Gagne ton pain, je te nourrirai." a l'effet d'un électrochoc sur Jean et
fait surgir une de nos peurs humaines les plus profondes, celle de ne pas savoir ce qu'on va
devenir. Jean l'exprime ainsi : "Bon sang, qu'est-ce qu'il vient de me dire là ? J'ai intérêt à
trouver du boulot !"
BO-VIOLET :
? fascination pour son oncle, terre-neuva chevronné, un ancien qui détient le savoir puis
l'exemple de son frère aîné
? le rituel de l'adieu de la famille au passage des écluses, marqué par les 3 coups de corne de
brume
? le contenu de son sac de marin qui est contrôlé par son frère
? l'expression "Tu vas pleurer ta mère" peut faire référence à l'enfant qui voudrait retourner
dans les jupes de sa mère parce que l'environnement qui l'entoure est effrayant
CP-ROUGE:
? la détermination et l'impulsivité de Jean à vouloir s'embarquer comme Terre-Neuva malgré les
tentatives de découragement de son oncle et de son frère, ne sachant pourtant pas ce qui
l'attend : faire ce qu'il veut quoiqu'il arrive, voilà ce qui compte.
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? la virilité : avoir un métier, rapporter de l'argent pour nourrir sa famille, être terre-neuva, c'est
être fort, c'est être un homme.
? la forte motivation d'échapper à la honte d'être assimilé à une personne paresseuse
DQ-BLEU :
? le respect des règles : gagner son pain dès le plus jeune âge, ne pas être "fainéant", faire des
efforts pour mériter sa place, obéir aux injonctions paternelles, être loyal vis à vis de sa
famille, sous peine de ressentir de la culpabilité
? ce modèle paternel et ces "règles du jeu" offrent à Jean un cadre et une forme de confort et
d'équilibre dont il a alors besoin
2. 1957 : départ en mer : modification des conditions de vie et nécessité de s'adapter
Pour la première fois de sa vie, Jean dit au revoir à sa famille, cette fois, c'est lui qui passe l'écluse de
St Malo (moment tellement émouvant qu'il en a gardé un ancrage auditif lorsque le capitaine fait
sonner 3 fois la corne de brume).
A bord du chalutier, c'est un nouvel environnement qui l'attend ainsi que de nouvelles conditions de
vie.
- Une famille de substitution : dans ce petit espace et durant plusieurs mois, il passe d'une "famille
de sang" à une "famille de camarades", ce qui est plutôt excitant pour lui :
"On retrouvait les copains de bordée, on savait qu'on allait travailler ensemble."
- L'obligation d'obéir aux ordres tout en supportant la rudesse physique et morale du métier :
"Il ne fallait surtout pas que le ramendeur attende c'était pour lui une perte de temps. Il nous disait :
"Allez ! plus vite !", en nous donnant un coup d'aiguille sur le doigt...avec des "mots doux", je te dis
pas ! Alors fallait s'y faire. Donc on faisait le plus vite possible ! Et ça c'est rien, en traversée...Quand
on était sur Terre-Neuve et qu'on avait les doigts gelés c'était le même travail mais avec les doigts
endoloris."
Une fois que toute l'installation était faite, on banquait, c'est à dire quand on arrivait sur les lieux de
pêche et on mettait le chalut à l'eau pour traîner et pêcher."
- L'inconfort du bateau :
"La meilleure couchette était souvent en bas car située au-dessus du calorifère (quand il fonctionnait).
Les meilleures places étaient prises par les anciens. Toi, t'arrive novice...on te dit : "Tu coucheras là",
point final.
Les manches à air n'étaient jamais ouvertes (à cause des paquets de mer) : il y avait 14 gars dans le
même endroit sans aération ! Ca sentait un mélange de morue, de chaussettes (qui étaient à chauffer
sur le calorifère....) ! "
- Le mal de mer :
Jean, comme tous les novices, découvre cet état physique pendant plusieurs jours. Cette expérience
est tellement violente qu'il suffit de l'avoir vécue une fois pour s'en souvenir toute sa vie : Le mal de
mer peut aller jusqu'à se sentir dans "un autre monde", "vaporeux", un monde où l'on "délire" et où l'on
peut finalement quasiment mourir : "Tu as des jeunes comme ça qui peuvent aller à la baille".
Jean me raconte comment les anciens lui apprennent ce qu'il faut faire pour atténuer le mal de mer et
comment, une fois rétabli, il va à son tour porter secours à un de ses camarades.
- Le caractère précieux de la nourriture :
Les novices doivent apporter les gamelles aux matelots qui travaillent sur le pont. Pour cela, ils
doivent notamment jongler avec les mouvements du bateau, les vagues qui s'affalent sur le pont et
prendre garde à ne pas glisser sur les têtes de morues qui jonchent le sol !
"Ta gamelle était prête, toi tu arrivais là même pas changé, plein de sang...puis, parfois tu ne pouvais
pas repartir à cause des paquets de mer ! Il fallait calculer (...) Tu jouais avec les paquets de mer,
jusqu'au jour où tu t'en prends un ! Un jour j'en ai pris un, je ne savais pas où j'étais ! J'étais rempli ! Et
les gamelles pfiuuuuut ! (Jean mime que les gamelles ont été emportées par l'eau)."
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Sauver les gamelles, c'est sauver les repas et sauver la nourriture, c'est survivre. Et donc, malgré les
conditions épouvantables Jean obéit aux règles, il doit faire ce qu'on lui dit et le faire convenablement
Même pour manger il y a une hiérarchie et un process à respecter : "Des fois tu te faisais engueuler
par les matelots : "Qu'est-ce que tu foutais ??!!"...pas le temps de répondre....tu déposais la gamelle
sur les tables, les gars se servaient et ils mangeaient en vitesse parce que 30mn c'est vite fait.
Ensuite, 6 heures d'affilées."
- La traditions du premier trait (première pêche) :
A la première morue pêchée, la tradition veut que les novices l'embrassent sur la bouche : "Le
capitaine, par le porte voix nous disait : "Attention, on va virer ! La 1ère morue qui tombe sur le pont,
vous l'embrassez !! Et choisissez une grosse ! Ca va nous porter chance !"
- Rire et chanter pour créer de la cohésion et se donner du courage :
Jean m'explique combien il est important pour lui alors de conserver de l'humour et des moments de
légèreté dans ce métier : "L'humour c'est dans ma nature ! Moi la misère, je la passe en dérision.
(...) On plaisantait pour maintenir la cadence du travail, pour rire, pour penser à autre chose qu'à la
morue.
La musique aussi, en plaçant les hommes dans un état de transe légère, faisait passer le temps plus
vite et atténuait la fatigue : "Un capitaine avait même apporté de la musique et nous avait branché un
haut parleur ! Et si on avait pas de musique, on chantait tous ensemble, il y en avait un qui prenait la
cadence et puis si on connaissait la chanson on chantait, ça donnait du baume au coeur..."
- Le troc d'alcool et de lait concentré avec les anciens
Pour compenser les "heures supplémentaires" (des pontées de 18 heures !!), le capitaine offre de
l'alcool aux marins. Les anciens sont satisfaits mais les novices, eux, ne sont pas intéressés.
Jean négocie donc une boîte de lait avec un ancien ! Contrat oral gagnant-gagnant !
- Les moments de répit
Quelques moments de repos permettent tout de même à Jean de prendre soin de lui, soigner ses
plaies, laver du linge, se reposer, mettre de côté des langues et des joues de morues pour sa réserve
personnelle etc.
Toutefois, lors de ces moments de répit, la cohésion de l'équipage demeure : "Par exemple quand on
avait des avaries, fallait réparer le chalut en entier, tout le monde était là pour donner un coup de
main"
- La camaraderie
Lionel Martin a calculé que le trancheur travaillait 600 morues par heure pendant 12 heures. Le novice
lavait et affalait donc 14 tonnes pendant 12 heures ! Et le travail se faisait une par une, contrairement
à aujourd'hui."
Autant dire que travailler dans une bonne entente, avec des personnes soudées est une condition
sine qua non pour tenir : "Nous sommes tous soudés les uns aux autres. J'ai vu être aidé dans la
misère et j'ai aidé aussi. Car par la fatigue qui faisait qu'on ne pouvait plus rien faire, tu étais
complètement anéanti. 12 heures de travail en continu...les mois passent...faut tenir ! Que tu sois
novice ou matelot, tout le monde est fatigué.
Le novice a moins de répondant qu'un matelot, la peau est tendre et plus fragile...lui c'est un adulte,
toi tu es un gamin...quand tu as 16 ans, tu viens des jupes de ta mère...bon ben...pfff...t'as jamais
travaillé, tu sais pas ce que c'est que travailler !
A propos de ce caractère soudé de l'équipage, Jean raconte plusieurs anecdotes :
- celle où son trancheur qui ralentit sa cadence, voire feint de nettoyer son couteau pour s'arrêter et
permettre à Jean de rattraper son retard... "Je me disais que j'étais pas seul, on sentait que c'était un
père, quelqu'un qui connaissait le métier bien avant nous"
- celle où il est aidé par "son grand copain Auguste dit Tatave, plus costaud que lui : "Il décollait plus
vite alors il en décollait pour moi : il mettait 1 morue pour moi / 1 morue pour lui / 1 morue pour moi / 1
morue pour lui ..."
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- plus tard, une fois passé matelot léger à 18 ans, Jean vivra une autre expérience marquante. Alors
qu'il a trois doigts gelés et qu'il est anémié, le médecin à terre lui ordonne de rester à l'intérieur du
bateau avec le capitaine et lui interdit de travailler sur le pont.
Contraint par la force des choses à "rester au chaud" pendant que ses camarades sont sur le pont
"dans la misère" Jean est habité par un sentiment de honte (être assimilé à un fainéant étant peut être
la honte suprême à bord d'un chalutier).
Le dicton de rigueur "Marche ou crève" qui en dit long sur le peu de tolérance qui existe vis à vis des
malades prend alors toute son ampleur dans la tête de Jean.
Ce sentiment de culpabilité devenu insupportable, Jean décide au bout de 3 jours et contre l'avis du
capitaine de redescendre rejoindre ses camarades sur le pont.
De cette histoire, il en tire une grande fierté encore aujourd'hui ; d'une part d'avoir tenu tête au
capitaine, d'autre part d'avoir fait preuve de courage voire de bravoure en affrontant de nouveau le
froid malgré l'état fragile de ses doigts "J'ai sauvé tout le monde !"
* *
*
Comment Jean a t-il réussi a s'adapter à ses nouvelles conditions de vie ? En actionnant les bons
niveaux d'existence au moment opportun. En nourrissant ses valeurs, il a trouvé la motivation pour
endurer son dur labeur.
Cependant, Jean ne connaît pas pour autant un changement de niveau d'existence ; c'est à dire
vertical (voir page 20), d'ailleurs il ne le souhaite pas. Ses valeurs profondes restent les mêmes pour
le moment mais ses valeurs de surfaces évoluent ; opérant un changement horizontal (voir page 20),
ce qui lui donne la capacité de s'adapter à ses nouvelles conditions d'existence.
Il vit pour le moment son métier de Terre-Neuva, pensant que c'est ce qui lui convient, adoptant une
position arrêtée (voir page 21).
SYNTHESE DES NIVEAUX DE VALEURS APPARENTS EN MER
AN-BEIGE :
? l'absence d'hygiène met en péril la santé des hommes
? le mal de mer qui peut pousser les marins à se laisser mourir ou se suicider
? les matelots sont passés en mode réflexe animal et l'appartenance au groupe a disparu, toute
communication est même parfois impossible, la satisfaction des besoins physiologiques est
devenue la priorité. De ce fait, tant que Jean était malade, il ne pouvait pas aider ses
camarades...
? sauver les gamelles à tout prix pour que l'équipage ne travaille pas le ventre vide
? "On était anéantis, on ne pouvait plus rien faire" : la fatigue peut à tout moment virer à
l'épuisement et peut conduire à la mort chez des sujets plus fragiles, l'histoire des Terre-
Neuvas regorge de témoignages à ce sujet !
? son anémie et l'état de ses 3 doigts ont été pris en compte à temps par le capitaine car son
cas n'est plus "discutable"
BO-VIOLET :
? référence aux anciens qui savent notamment ce qu'il faut faire pour atténuer le mal de mer
? respect des anciens et de la coutume qui veut que les meilleures couchettes soient réservées
aux anciens
? tout le monde est logé à la même ancienne concernant les odeurs, le manque d'hygiène et
l'inconfort, pas de place pour le "soi"
? La fratrie est une valeur profonde qui est permet à Jean de s'adapter aux conditions rudes du
métier de terre-neuva : "Nous étions soudés les uns aux autres, le travail que l'on faisait tous
ensemble, on ne pouvait pas se plaindre, ni les uns ni les autres puisqu'on faisait la même
misère ! Si j'avais des choux (infections cutanées au niveau des poignets causées par le
frottement incessant des bas de manche imprégnés d'eau salée), mon copain aussi en avait !
J'avait froid, il avait froid aussi !"
? Les camarades de Jean se situant aux mêmes niveaux d'existence que lui, il n'est pas
étonnant qu'ils ressentent également cet esprit de clan qui les soudent : "Un esprit soudé, de
cohésion et jamais de bagarre entre les collègues ni rien...des fois il y avait des sautes
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d'humeur, des caractère plus violents que certains, parfois causés par la boisson...mais on
réglait le truc vite fait car s'il y en avait 1, il y en avait 13 derrière !"
? Et il est encore moins étonnant que l'équipage se reforme comme il était pour la prochaine
campagne : "On se réengageait tout de suite. Tu pouvais changer de compagnie, de bateau,
de capitaine.. mais on est tellement soudés entre nous qu'on est bien contents de retrouver
les copains parce qu'on sait que ça va bien marcher, ce sont des bons matelots."
? importance de s'entraider au sein du groupe ; dès que Jean est "sauvé" par les anciens, il va
à son tour porter secours à ses camarades : réciprocité
? on voit là les bienfaits de BO-VIOLET : sécurité et protection
? respect du rituel et respect des superstitions
? le groupe protégeait Jean ("Je me disais que j'étais pas seul")
? un ancien prend le rôle du père ("un père, quelqu'un qui connaissait le métier bien avant
nous")
CP-ROUGE :
? fierté de Jean, son métier lui donne un statut héroïque : "C'est pas un métier de fainéant, c'est
un métier qui te donnait de la valeur par cette misère que tu côtoyais jour et nuit pendant des
mois"
? pour cela, il doit avoir du courage...
? honte à celui qui craque ! même si elles ne sont pas méchantes, "les vannes étaient bien
balancées"...il ne valait mieux donc pas laisser percevoir que l'on pensait à sa femme avec
mélancolie !
? Jean fuit la honte en ne voulant pas passer pour un "tire au flanc" : malgré l'état misérable de
ses doigts il décide avec courage d'affronter le froid et de rejoindre ses camarades sur le pont.
Il ressent de l'héroïsme : "J'ai sauvé tout le monde !"
DQ-BLEU :
? dans ce contexte, les règles établies à bord du chalutier doivent être respectées ("Tu n'as pas
le choix") : acceptant sa place, Jean obéit et fait ce qu'on attend de lui, malgré les conditions
épouvantables
? subissant l'attitude "ROUGE" (de domination et de mépris pour les faibles) du ramendeur,
Jean obéit, acceptant sa place et en se pliant aux règles établies à bord du chalutier.
? la coutume concernant l'attribution des couchettes s'est peut être même hissée au niveau de
règle à bord ? En tout cas, en acceptant sa place, Jean la respecte...
? pendant l'épisode du mal de mer, Jean a suivi à la lettre les ordres du responsable des
novices ce qui a permis de le cadrer et faire en sorte qu'au final tout l'équipage soit "sauvé"
? respect de l'organisation et accomplissement de la tâche qui lui est confiée, chacun est à sa
place
? obéissance au capitaine qui ordonne d'embrasser la morue
? le repos oui, sauf si Jean est de quart
ER-ORANGE :
? la notion de négociation fait une apparition furtive lorsque Jean fait du troc avec les boîtes de
lait avec un ancien : contrat oral gagnant-gagnant !
? les matelots se libèrent un instant de leur labeur pour enfin s'occuper un peu d'eux-mêmes,
retrouver du confort matériel et gérer leur barrique de langues de morue
3. De 1957 à 1960 : pas de signe de changement vertical
Comme on va le découvrir, le changement vertical n'est encore pas pour cette fois-ci. Cependant,
Jean adopte désormais une attitude ouverte (voir page 21).
Mais jusqu'à l'âge de 21 ans, Jean ne voit pas d'autre solution que de repartir en campagne :
- d'une part, il pense qu'il ne trouvera pas de travail à terre : "Tu n'avais rien à terre ! Si j'avais arrêté
comme ça de but en blanc, je me voyais mal arrêter et me retrouver chez moi à rien faire et d'aller où
? Frapper à une porte ? Pour faire quoi ?"
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- d'autre part, étant mineur, il se heurterait au refus de son père de le laisser partir au service militaire
en pleine guerre d'Algérie : "Quand tu auras 21 ans tu feras ce que tu voudras mais moi, tant que tu
seras chez moi, tu as 18 ans et je ne signerai aucun contrat".
Jean souhaite donc le changement mais 4 conditions sur 6 ne sont pas réunies (voir paragraphe 2.3
"Les 6 conditions du changement" - page 21).
En effet, Jean ressent une dissonance et possède le potentiel cérébral mais il manque :
- la résolution des problèmes en cours (trouver un travail à terre, guerre en Algérie)
- un insight
- la levée d'un obstacle de taille : son père
- l'assistance dont il a besoin
Jean reprend donc la mer.
Cependant, un nouveau v-Mème se développe progressivement dans son système de valeurs: ER-
ORANGE
Il existe un proverbe terre-neuva qui dit : "Chacun s'embarque comme il est con" et qui commence à
faire son chemin dans la tête de Jean.
Les capitaines se concurrencent : c'est à celui qui aura le meilleur équipage pour charger le plus.
Cela engendre une surenchère au sein des matelots et les parts font l'objet d'une âpre négociation.
Dans ce système, les autres matelots sont des concurrents alors c'est "chacun pour soi", il faut être
plus malin que les autres, tirer son épingle du jeu pour tirer profit de cette situation !
Jean décide alors de signer dorénavant des engagements de type "gagnant-gagnant" :
"- La première année de novice j'étais redevable à la Compagnie (parce que pas assez de morue
pêchée). Redevable ! Donc la même misère que tout le monde mais redevable (ndlr: il en a "bavé"
comme tous les autres mais en plus, il doit de l'argent) !
- La deuxième année, j'ai eu un retour avec ma part de 0,75. Je me suis dit : "C'est la misère.. c'est
pas possible !??? (...) Y'en a marre, ça paye pas beaucoup, c'est la misère ! (...) Là, je ne vais pas me
laisser faire".
A la Compagnie où l'attendait l'armateur qui voulait lui faire signer un contrat d'engagement, Jean
entame une négociation refusant net la proposition de l'armateur à 1 part. Pour cela, il active son
Vmème ROUGE qui lui donne l'audace et l'estime de soi nécessaires pour affronter "sa partie
adverse".
Cependant, mal préparé et encore peu expérimenté, Jean accepte 1,10 part...alors qu'il réalise par la
suite qu'il aurait pu obtenir 1,20 part !
A ce sujet, Jean dit : "On était face à l'armateur, il était venu nous chercher, il nous embarquait, il nous
proposait 1,10 part...tu sais, à 19 ans...il était revenu nous chercher (ça fait du bien, on se sent
important, ça montre la valeur de ton travail)."
Jean, du haut de ses 19 ans n'a pas encore un ER-ORANGE encore assez fort pour lui permettre de
remporter ce premier bras de fer : "1,10 part c'était pas mal sur le moment, j'ai pas pensé (c'était pas
une question d'oser ou pas), j'étais pas assez remonté pour demander !"
* *
*
52
Suite à cette troisième campagne, dégoûté de l'exploitation des marins par les armateurs, Jean décide
d'arrêter le métier de terre-neuva :
"Pourtant j'ai voulu y aller et j'y suis allé, et ça je ne le regrette pas, je ne le regretterai jamais de ma
vie, ça c'est certain ! Parce que j'ai voulu y aller, j'ai fait le métier comme tous les collègues MAIS à la
veille de mes 20 ans, je me suis dit "Jean, ce n'est pas un métier pour toi"
Si j'ai quitté Terre Neuve c'est parce que j'ai tout de suite vu dans ma petite tête qu'on était exploité
comme tous les marins de Terre-Neuve, y compris les voiliers (encore pire que nous !).
J'avais commencé à défendre mon beefsteak mais c'était trop tard.
Quand tu prends un métier comme ça, tu peux avoir l'ambition de te dire "Je ne vais pas rester
matelot, je vais taper un concours et moi aussi monter à la passerelle". C'était possible de le faire, ça,
celui qui voulait se dégager du pont il passait lieutenant et de lieutenant il passait capitaine si il voulait.
Mais moi je ne voulais plus continuer dans ce milieu là."
4. De 1960 à 1962 : le service militaire offre une trêve
En 1960, Jean a 20 ans. Inscrit maritime, il part au service militaire après avoir obtenu un brevet de
manoeuvrier afin de quitter le statut de matelot.
Il ressent le besoin d'avoir un cadre : "Tu manoeuvres le bateau et tu as des chefs au-dessus de toi
pour t'indiquer comment faire".
Il s'agit là du niveau de valeurs DQ-BLEU.
D'ailleurs à propos du service militaire, Jean se rappelle la visite médicale : ""- Bon pour le service" !
Rhooo, j'étais vachement content ! Je me serais senti très mal à l'aise vis à vis de tout le monde,
parce que le service militaire à l'époque c'est une espèce de fierté que l'armée te prenne. Se retrouver
dans la Marine Nationale c'est un autre métier !"
Et de me préciser ce qu'il aime dans le service militaire : "La discipline : "Tu dois obéir aux ordres,
marcher au pas, j'avais toujours quelqu'un au-dessus de moi...J'ai toujours été discipliné et j'aime ça.
Je l'ai toujours connue, dès mon plus jeune âge. J'ai toujours obéit à mes parents, à l'école (chez Les
Frères, ça rigolait pas !) - le respect "De soi-même et le respect des autres" - l'uniforme.
Mais en réalité, en pleine guerre d'Algérie, Jean n'occupe pas son poste de manoeuvrier : on lui
demande de monter la garde en haut d'un mirador .
Lassé de surveiller l'horizon, Jean passe maître d'hôtel des gradés et leurs familles.
Mais, toujours insatisfait de sa situation, il se met en tête de réembarquer : "Paf un coup de fusil dans
ma tête. J'ai eu un coup de cafard à rester comme ça à terre. J'ai tapé du poing sur la table...Il y avait
un bateau à terre qui avait notamment pour fonction d'aller en mission jusqu'en France, il faisait des
allers-retours. Je me suis dit "C'est ça qu'il me faut !! Comment embarquer là-dessus ?..."
Jean veut à tout prix reprendre la mer pour exercer sa fonction de manoeuvrier mais surtout pour
avoir la possibilité de se rendre en France au chevet de son père.
BO-VIOLET et ses valeurs familiales ressurgissent .
Jean est déterminé. Pragmatique et sachant saisir sa chance, il se sert de ses capacités ER-
ORANGE pour échafauder une stratégie et convaincre le commandant : il joue sur le fait que l'officier
est également breton, qu'il admire les terre-neuvas et évidemment, met en avant son grade de
manoeuvrier : " Moi je suis pas maître d'hôtel(...). J'en ai marre de servir. D'autant plus que je suis
breveté manoeuvier !"
Jean ne lâche rien, tous les jours il relance le commandant qui lui dit même "Tu sais que tu
commences à m'emmerder ??!!", ce à quoi Jean répond : "Peut être mais je voudrais quand même".
Jean va même réitérer sa demande auprès d'un supérieur hiérarchique.
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Puis, un jour le commandant lui dit : "J'ai une bonne nouvelle pour toi. Depuis le temps que tu
m'emmerdes à vouloir partir, eh bien tu embarques ! Il y en a un qui s'en va, il y a une place à
prendre, tu la veux ?"
Jean embarque alors en 1961 pour un bateau en partance pour Toulon dont la mission est de relever
des torpilles : il a atteint son objectif !
Mais à peine la traversée commencée, le commandant lui demande d'être son maître d'hôtel pour
remplacer celui qui s'en allait ! " Parce qu'il savait que j'avais servi les officiers à terre ! Moi je n'avais
pas souhaité ça au départ, j'étais bien sur le pont avec mes collègues ! Et me voilà détaché une fois
de plus, monté à la passerelle au service du commandant et c'est tout !"
Finalement, Jean obéit et ne le regrette pas : "Rhoooo...le roi du pétrole !! Incroyable. Si bien que,
comme il m'avait pris à la bonne (il était de Brest), quand mon père est décédé (...) il m'autorise à
faire mon sac et me donne 10 jours de permission. Et du coup j'ai pu assister à l'enterrement de mon
père.
Jean souligne : "Quand j'ai perdu mon père, je me trouvais à quai à Toulon, tu vois comme c'est
bizarre (ndlr : la coïncidence)...Si je n'avais pas fait ça (ndlr : avoir passé son brevet de manoeuvrier,
avoir refusé plus longtemps de monter la garde puis de servir à terre, avoir insisté pour embarquer
puis avoir obtempéré et devenir maître d'hôtel du commandant à bord) , je n'y serais pas allé."
On peut noter ici l'aspect magique aux yeux de Jean du déroulé des évènements (il était à chaque fois
au bon endroit au bon moment), ce qui vient ajouter une touche supplémentaire de BO-VIOLET à ce
contexte.
De retour en Tunisie, Jean apprend à "faire la guerre" : "On m'a donné un casque et un fusil et j'ai été
de nouveau soldat. Je me suis retrouvé sur une maison à toit plat avec un collègue qui m'a dit
comment faire parce que moi je me suis retrouvé dans la guerre..."
A la fin du conflit, Jean est démobilisé et affecté à Toulon.
5. De 1962 à 1963 : Jean est ouvert au changement vertical mais se heurte de nouveau à des
obstacles
Après son service militaire, Jean traverse une période de doutes, de déceptions et de tâtonnement. Il
est à la recherche du métier qui correspond à ses valeurs.
A la fin du conflit en 1962, Jean ayant été exemplaire, l'armée lui propose un contrat dans la marine
nationale mais il refuse.
Il constate que depuis Terre-Neuve il n'a toujours pas vraiment gagné sa vie et réfléchit donc à des
solutions pour changer cela : "J'avais ma petite idée dans la tête...".
Jean ressent bien à ce moment là un dissonance et cherche l'insight dont il a besoin pour avancer.
Il croit l'avoir trouvé en se projetant dans le métier de gendarme ou de policier.
Ce métier lui offrira le cadre, une discipline, un uniforme dont il sera fier, nourrissant ainsi ses valeurs
propres à DQ-BLEU mais pas seulement : "Mais aussi s'engager dans quelque chose pour les
autres".
Cette motivation est nouvelle chez Jean, il s'agit de la première apparition de FS-VERT.
Cependant, les conditions ne sont pas encore là pour que Jean concrétise ce souhait : "Je me suis dit
je vais essayer de rentrer dans la gendarmerie. Tout de suite en quittant l'armée, je suis donc allé à la
caserne de St Malo. Mais il m'a passé à la toise ; j'ai pas été admis, il me manquait 2 cm. Ils m'ont dit
"Essayez la police..."...J'essaie la police. Je passe à la toise : idem ! J'ai pas cherché plus loin. J'étais
dépité parce que pour 2 cm je ratais une carrière."
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Face à cet obstacle, Jean vit une régression et décide de repartir naviguer : "Je me suis dit "T'as plus
qu'à repartir naviguer !""
En effet, quoi de plus naturel, quand tout semble bloqué, de recommencer à faire ce que l'on sait déjà
faire ?
Mais cette fois-ci, pas question de retourner à Terre-Neuve. Jean va tenter sa chance au commerce et
postuler pour faire du cabotage international sur les cargos.
Il opère alors un nouveau changement horizontal : son Vmème ORANGE cette fois-ci bien rôdé lui
permet de prendre le risque calculé de se lancer dans un nouveau métier.
Sa motivation première étant de gagner sa vie : "J'ai écrit au pif une dizaine de lettres".
Sa stratégie fonctionne puisque la société caennaise l'accepte comme matelot à Granville, sur un
charbonnier. Il embarque sur le Chloé pour 4 ou 5 mois. En 1962 il embarquera de nouveau avec la
même compagnie, cette fois-ci sur l'Egée.
Jean, qui n'a jamais mis les pieds sur un cargo, découvre un tout nouveau métier : la manutention de
cales (de port en port, chargement du charbon et du minerais dans les cales du bateau pour aller les
livrer en mer du Nord et dans la Baltique). Jean apprend vite et s'adapte parfaitement à ces nouvelles
conditions de travail.
A bord, il retrouve un environnement qu'il connaît bien, celui de la camaraderie, des esprits soudés et
de la cohésion d'équipe (BO-VIOLET) : "On était 6 mais on avait un travail très dur. Surtout sur l'Egée,
un bateau sur lequel personne ne voulait embarquer parce qu'il n'était pas automatisé (en fait, c'était
presque un bateau disciplinaire car des fois ils mettaient des vieux matelots là-dessus "en discipline",
c'est à dire en punition...je l'ai su après !). Et donc on était embarqués là-dessus et on retrouvait la vie
de famille aussi."
Mais ce cabotage international permet surtout à Jean de découvrir de nouveaux lieux et de faire des
rencontres enrichissantes :
"Nos escales étaient folkloriques ! En Russie dès qu'on avait passé les grilles, il y avait des
rabatteurs...les français, on était très aimés là-bas, ils nous attendaient pour discuter avec nous, on
s'est même retrouvés dans une salle avec des jeunes filles pour nous apprendre qui était Mao et on
nous a donné le Petit Livre Rouge, tout ça pour qu'on ne dise rien de critique sur Mao. Endoctrinés
qu'on était !! La Guerre Froide, quoi.
Mais la Pologne c'était autre chose ! Beaucoup plus sympa ! On avait pas ça et ils nous laissaient aller
en ville comme on voulait, on y passait la nuit, on faisait ce qu'on voulait.
Dans toute la navigation, dans tous les pays que j'ai faits au monde, il y en a 2 que j'ai retenus dans
mon coeur, c'est la Pologne et le Portugal. Les gens là-bas.
Dans tout mon parcours, après avoir fait le tour du monde, connaître les gens, faire escale, j'ai un
coeur mosaïque, j'ai une petite parcelle qui est restée partout où je suis allé parce que j'ai besoin
d'aller vers les autres et de parler. On a pas la même langue et on se comprend !"
Pour la première fois, le métier de Jean lui apporte de l'humanité, du beau...il lui permet de vivre des
émotions fortes et authentiques en tissant des liens avec les populations rencontrées.
FS-VERT est en marche !
Mais au bout de 2 ans, Jean décide de mettre fin à ce métier car AN-BEIGE (peur de ne pas s'en
sortir financièrement) envoie un signal d'alarme : "J'ai mis sac à terre aussi pour le cargo parce que je
me disais "Jean, il ne faut pas que tu continues à naviguer sur ce bateau. On était trop souvent dans
les ports et à l'âge que j'avais je savais ce que c'était de ne pas gagner de l'argent (puisque je l'avais
vécu à Terre Neuve) et je me retrouvais à dépenser de l'argent à terre. Je me disais "C'est pas ça qu'il
me faut".
Jean ne peut pas passer tout de suite à FS-VERT, il a encore besoin de consolider le niveau
précédent ER-ORANGE.
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C'est alors qu'il a une nouvelle idée : "Quand j'ai débarqué en permission du 2ème bateau, le Egée,
j'ai dit à ma mère "Je vais essayer d'aller sur les pétroliers"...et la suite montré que j'ai eu raison !
6. De 1963 à 1969 : s'éloigner de ER-ORANGE et se rapprocher de FS-VERT
Jean souhaite ardemment quitter le monde superficiel de ER-ORANGE pour vivre des relations
harmonieuses.
En 1963, il a 23 ans.
Néanmoins ER-ORANGE reste encore indispensable : après avoir tiré son épingle du jeu à l'armée
puis être parvenu à se faire embaucher au Commerce, il entreprend à présent de décrocher un poste
de matelot sur les pétroliers !
J'avais 23 ans et j'étais toujours aussi gonflé ! Parce que au Commerce, comme on dit, "On
embarque pas un marin pêcheur comme ça" ! Ca m'a valu de monter à Paris voir un armateur mais
surtout un PDG de l'Armement de la Compagnie de Pétrole, là c'est pas n'importe quoi ! J'ai écrit à
plusieurs compagnies, je voulais embarquer pas comme matelot mais au Service restaurant, j'avais
mon idée...Alors dans mes lettres j'explique que "J'ai fait telle compagnie, telle compagnie, telle
compagnie avant le service militaire j'étais marin pêcheur, service militaire terminé je souhaiterais
selon la disponibilité que vous avez...etc. J'ai fait un super truc, bien écrit... J'ai envoyé 20 lettres
comme celle-là."
Porté par son ER-ORANGE grâce auquel Jean "n'a pas de problème mais que des solutions", rien ne
peut l'arrêter dans sa quête : "Ma mère et ma soeur étaient auprès de moi et me disaient : "Tu crois
que ça va marcher ? Moi je répondais tout simplement : "Je ne sais pas, on verra !"
De plus, Jean a toute l'assertivité la réactivité et l'audace héritée de CP-ROUGE.
Le résultat de cette action ne tarde pas à se manifester quand Jean reçoit par télégramme une
convocation à un entretien à Paris chez la Compagnie Nationale de Navigation. Jean en tire une très
grande fierté et nourrit ainsi son CP-ROUGE : "Waaooh ! Me voilà convié à Paris ! Eh ! Le gars de la
Buzardière qui prend le train à St Malo !!"
Son arrivée à Paris ravive son ER-ORANGE : "J'arrive à Montparnasse, je prends un taxi, j'avais
l'adresse, paf, et je suis arrivé...alors là, dis-donc, c'est rue de Rivoli, il y a de la monnaie dans le coin
!"
Il en est de même quand, arrivé dans les bureaux de la Compagnie on lui rembourse avant toute
chose ses frais de déplacement : "Que du liquide ! Que des espèces ! Une enveloppe remplie ! Je
mets ça dans ma poche."
L'entretien se passe parfaitement bien et débouche sur une embauche.
C'est de nouveau l'inconnu pour Jean mais il a confiance : "Je me dis : "Oh la la la la, où je mets les
pieds ?.......bon, c'est pas grave""
La prise de fonction se fait de façon la plus naturelle : Jean ne connaît strictement rien de ce métier
mais ce n'est absolument pas un problème pour lui !
"Je suis reçu par le gars du bord qui me dit : "- Salut ça va ?" et qui me présente aux autres : "Tenez
voilà mon remplaçant ! Puis, il me dit "- Bon bah écoute, tu connais le truc, je te laisse parce qu'il y a
mon train qui m'attend !"
Tout l'équipage pense que Jean fait partie depuis longtemps de la compagnie, comme il n'en est rien,
il suffit qu'il rétablisse la réalité des choses...
"Je lui tape sur l'épaule et je lui dis : "- Ecoute, arrête...Je connais rien !...J'ai jamais embarqué sur un
pétrolier ! Alors il me répond : "- Quoi ??!! Bon, je te montre en 5mn ce que tu dois faire, ouvre bien
tes oreilles ! Ici c'est l'office, là, les couloirs, les cabines des officiers, ici ton office, ici le salon des
officiers , leur salle à manger, bon, tu mets le couvert et tout...voilà, à telle heure...et puis tu nettoies ta
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coursive, ça sera ton boulot dans la journée, et puis tu sers et voilà, c'est tout; T'as compris ? Attend,
avant de partir, je vais te signaler quand même aux autres collègues du restaurant : le cuisinier,
l'intendant, un autre garçon, le boulanger..."- Voilà un gars, il me remplace mais il connaît pas les
pétroliers, il connaît pas le bateau, il connaît rien...". Les autres ont dit "- Mais t'inquiète pas ! On va lui
apprendre !"
Jean découvre ses nouvelles conditions de vie : "Quand tu quittes un travail sur un chalutier ou un
cargo, tu trouves ça immense ! Et puis, c'est une autre vie, ça n'a plus rien à voir."
Jean s'adapte et son nouveau métier qui lui paraît très simple à Jean : "Le lendemain j'étais déjà à la
cool...tu sais, quand t'es pas fainéant ni rien...J'avais tout de suite repéré le travail que j'avais à faire, il
y avait des petits trucs qui m'échappaient mais les gars étaient là derrière moi qui me disaient
t'inquiète pas, on va te dire...
Et puis, au bout de 4 ou 5 jours j'ai plus eu besoin d'eux, c'était comme si j'avais navigué toute ma vie
sur un pétrolier. Et puis voilà, ça a marché !"
Jean monte en grade au bout d'un an : de garçon de carré (qui sert les sous-officiers) il passe garçon
de salon (qui sert les officiers).
Il s'épanouit dans cet environnement où ses niveaux d'existence peuvent s'exprimer :
BO-VIOLET vient aider Jean à s'intégrer et apprendre le métier : "Là aussi c'était soudé !"
DQ-BLEU qui lui donne le cadre rigoureux mais apaisant qu'il recherchait :
- la tenue correcte exigée : "Le service de table se faisait en tenue correcte...ah ouai...j'ai bien
apprécié ça...t'avais un noeud papillon ou une cravate..."
- les rapports respectueux : " Sur les pétroliers, ça n'a rien à voir avec les capitaines de chalutiers : sur
les longs courriers ce sont des capitaines au long cours, quand ils passent commandants ce sont des
"Messieurs"... On vouvoyait...Il n'y avait pas d'insultes"
- la reconnaissance de l'obéissance et du travail bien fait : "Il y a de la droiture dans ce que tu fais
avec ces gens là, tu avais ton travail à faire, fallait le faire bien, que tu sois reconnu, que ce soit
toujours bien propre.
- les tâches bien définies : "A 6h du matin j'apportais le plateau du petit déjeuner au Commandant car
il était déjà à la passerelle avec ses officiers. Après, je débarrassais, j'étais dans mon office, je le
nettoyais parce que c'était mon travail...je remplissais les frigos avec l'intendant qui supervisait avec le
commandant tout ce qu'il y avait à bord (ils faisaient leurs menus qui étaient signés par le
commandant qui, si quelque chose ne lui plaisait pas demandait qu'on l'enlève et qu'on le remplace
par autre chose)...tous les jours comme ça. C'était une routine."
ER-ORANGE lui fait découvrir les avantages d'un travail individuel, l'indépendance, l'autonomie, les
moments de tranquillité, le plaisir de "faire ce qu'on veut", le confort matériel : "Ensuite, je nettoyais les
coursives, les chambres des 3 officiers et après j'étais libre...même s'il y avait toujours quelque chose
à faire (nettoyer les hublots...je m'occupais). Je travaillais 8 par jours et j'étais en somme mon propre
patron, si je voulais donner un coup de balai le matin, je le faisais, je faisais ce que je voulais. J'avais
tout le château à moi ! Une cabine personnelle avec un bureau, une armoire, une douche, l'air
conditionné...c'était le bonheur ! Fallait voir la beauté que c'était ! La moquette...et tout..."
En opposition, FS-VERT, qui est en cours d'installation dans le système de valeurs de Jean, lui fournit
les relations humaines dont il ne peut malgré tout pas se passer : "Sur le chalutier : l'esprit de groupe
c'est faire le même métier, avoir la même misère pendant 12 heures. Sur un bateau de commerce : il
y a moins de monde et le travail est individuel (le boulanger, le cuisinier, le garçon de carré etc. .Il y a
une convivialité, il n'y avait pas d'insultes".
De ces conditions de vie, Jean en tire du bien être, il se sent reconnu, notamment en étant payé 2 fois
plus qu'à Terre-Neuve, ce qui renforce son ER-ORANGE !
Jean sait également activer son CP-ROUGE pour exprimer son assertivité et savoir "se battre pour se
faire respecter" au moment opportun.
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En voici un exemple truculent :
"Pour la propreté, il n'y avait pas de problème avec moi car j'ai toujours aimé la propreté.
Ce qui fait que parfois je me permettais de rouspéter contre le chef mécanicien qui salissait : il
mangeait un casse-croûte et il me laissait tout en vrac.
Ca n'a pas duré longtemps avec moi : 2 fois mais pas 3 ! Je l'ai pris un jour entre 4 yeux : "Ecoutez
chef, ne le prenez pas mal, mais c'est pour moi, pour mon amour-propre ! Vous savez, ici, chacun son
travail, vous avez votre machine, je suis d'accord, moi j'ai mon office, quand je quitte le salon c'est
nickel ici ! Y a pas une miette !
"Rhaaa.. oui je sais, vous êtes très très minutieux,
"alors pourquoi vous venez dans la nuit avec un de vos collègues et vous me mettez la zone dans
l'office ? On dirait qu'il y a eu un ouragan !!
C'était la 1ère fois qu'un officier comme ça se faisait remonter les bretelles par un subalterne, un petit !
Mais écoute, c'est normal ??!! Je me disais "Mais ça va pas être pire qu'à Terre Neuve ??"
Et comme ça a continué, j'ai fait constater par le commandant.
Car ça voulait dire "Chante toujours, je m'en fout"...alors je me suis dit "Toi mon petit pote, tu vas pas
t'en foutre longtemps ! (c'était un jeune chef)
- Le commandant : "Qu'est ce qui se passe ?
- Jean : "Ca peut plus aller, je vais péter un câble....(il explique au commandant...) quand j'arrive le
matin pour faire votre plateau, je ne sais pas où le poser !
- "A ce point là ?... Très bien, vous avez bien fait de m'en parler... la prochaine fois que ça arrive, vous
me faites constater.
Ça a pas traîné. 3 jours après, rebelote.
"Qu'est-ce que c'est que ces cochons-là ?? Très bien...vous nettoyez comme d'abitude, et moi je m'en
occupe."
Après le chef mécanicien m'a dit "Vous êtes allé voir le commandant ?
Jean : "Vous ne voulez pas m'écouter ! Vous me prenez pour qui ? Je ne suis quand même pas une
bonne à tout faire ! Je suis comme vous, je fais mon travail, je le fais du mieux que je peux, C'est clair
et net, vous savez, un garçon qui se respecte ça doit être clair partout et bien vous êtes pas clair
parce que vous me casser mon travail dans la nuit et moi le matin, je rentre et c'est comme si il y avait
eu des cochons à manger"
Ça lui a pas plus ! Mais après, il a mangé mais c'était rangé.
Je vous demande pas de faire la vaisselle, c'est pas votre rôle à vous, c'est le mien, je vous empêche
pas de casser la croûte, mais de respecter en rangeant au moins vos affaires ! Rangez les verres
dans la souillarde, vous mettez tout dans l'évier, peu importe, mais au moins ça sera que dans l'évier !
J'ai eu du mal à lui faire comprendre mais il a compris ! Mais c'était un gars qui devait faire ça sur
tous les bateaux ! "Moi je suis chef (un monsieur)"...Ouais, bah tu vas voir à qui tu as affaire ! Ça n'a
pas raté !
Le second capitaine il était sympa, j'ai jamais eu d'ennui avec lui car il avait peur du commandant
alors c'était pas le moment qu'il mette la zone.
Les commandants sur les gros bateaux c'était quelque chose !
C'était pas le même métier, quoi !"
De bateaux en bateaux au sein de la même compagnie, Jean enchaîne les voyages de 5 mois à 5,5
mois, son métier correspond à ce qu'il cherchait.
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Mais au bout d'un moment, à nouveau, ces nouvelles conditions d'existence ne lui conviennent plus
:"Il me fallait de l'action et l'action, tu l'as pas là-dessus. Le long cours c'est particulier, surtout les
pétroliers, tu ne touches pas terre, c'est très monotone comme travail. Tu quittes le Havre => tu vas
jusqu'au Golf Persique, tu charges => tu reviens. En mer comme ça pendant 5 mois, tu n'es jamais à
terre (le chargement du pipe line se fait en pleine mer). Ce métier de pétrolier était difficile à vivre car il
me semblait que tu avais une perte de temps dans ta vie."
Mais surtout, à propos de "perte de temps", un évènement déterminant est survenu entre temps qui
réactive BO-VIOLET : Jean est devenu père de famille.
"Ma première fille, Rozenn, est née en 1966. J'ai voulu être là pour sa naissance, ça m'a coûté 6 mois
sans débarquer. C'est toujours le problème des marins ; tu pars 5 mois tu restes un mois à terre et tu
retournes en mer pendant 5 mois. Les enfants sont élevés par la mère et les grands-parents qui sont
autour et puis c'est tout. Papa, on le voit en photos, lui. Papa il est là mais il est en mer mais la gosse
ne comprend pas. Je venais tous les 5 mois et Rozenn ne me connaissait pas ! Ce qui m'a fait mal au
coeur la 1ère fois c'est qu'on l'obligeait à me dire bonjour. Elle se cachait pour ne pas me voir. J'ai pas
supporté. Carrément !"
Mais ce "problème" offre une occasion rêvée à Jean de nourrir son FS-VERT en faisant le tour du
monde et en devenant Cap Hornier !
En effet, pour compenser les jours qu'il avait pris pour la naissance de sa fille, il fait 6 mois et demi à
titre volontaire à bord du Longchamps dont la mission était la livraison d'un produit "secret défense" à
Tahiti.
Au cours de ce voyage, il passe une semaine à Tahiti avec les vahinés, à danser et à visiter l'île...puis
à Singapour qu'il visite et dont il rapporte des souvenirs...
Ensuite le bateau fait route vers l'Australie par le détroit de Torrès où l'équipage prend un pilote à bord
(un descendant de pigmé), puis le bateau fait le passage, débarque le pilote et fait retour au golfe
persique où il charge de nouveau 40.000 tonnes de pétrole avant de redescendre par le Cap de
Bonne Espérance et décharger en France.
Ce voyage dure 82 jours.
7. De 1969 à 1971 : régression
La naissance de sa fille a chamboulé naturellement le système de valeurs de Jean : ses priorités ont
changé.
En 1969, animé par BO-VIOLET, Jean décide d'arrêter de naviguer pour vivre son rôle de père :
"J'étais à terre, je retrouvais ma vie de famille. C'est surtout ça qui comptait."
Pour cela, il se sert de ER-ORANGE pour trouver rapidement et sans trop se poser de questions un
travail à terre.
Il opère un changement horizontal en repartant à zéro dans un milieu professionnel où personne ne le
connaît mais vit mal ses nouvelles conditions d'existence à terre : "Je prends un boulot de magasinier
/ livreur dans une biscuiterie en gros...j'étais un peu commercial d'une certaine manière ! J'ai donc
consacré ces 2 ans à de la "bricole."
Le métier ne lui plaît pas : "C'est le truc qui ne pouvait pas me convenir non plus...parce que là j'ai
bien failli retourner naviguer !! Et pour cause, dans ce milieu commercial il "baigne" dans le ER-
ORANGE et se situe aux antipodes de FS-VERT !
Surtout, ce métier ne lui rapportant pas assez d'argent, les peurs de AN-BEIGE réapparaissent : "J'ai
découvert une chose ; c'est que quand tu navigues, tu n'as pas de frais, ton salaire est net. Alors que
quand tu es à terre, faut manger. Tout est différent et je connaissais pas."
Il pressent qu'il va devoir encore attendre avant de gagner sa vie dans ce métier. Son employeur lui
fait miroiter un salaire décent à la fin de sa période d'essai mais cela a un goût de déjà vu chez les
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Terre-Neuvas : "Si tu changes de métier. Le patron à terre qui ne te connaît pas, il te met à l'essai. Il
te dit "Si tout va bien, je vous augmenterai"....
Jean s'adapte malgré tout...Mais au bout de 2 ans rien ne va plus !
D'une part, comme il a été vu, ce métier ne lui permet pas de faire vivre sa famille.
D'autre part, il n'y voit pas de possibilités d'évolution.
Par le biais du méta-modèle (hiérarchisation de ses valeurs) je valide cela avec Jean : même bien
rémunéré et avec des possibilités d'évolution, il n'aurait pas continué ce métier de commercial qui ne
lui plaît pas !
Jean a la nostalgie des pétroliers qu'il a quitté uniquement pour se rapprocher de sa fille. Il décide
donc de repartir en mer.
Mais avant de quitter son poste, il n'omet pas de négocier une augmentation auprès de son
patron...grâce à ER-ORANGE.
8. 1971 : contre toute attente, un insight surgit !
Jean poursuit sa quête du "travail idéal" depuis 14 ans à présent. Bien qu'ayant connu des
déceptions, il a continué à y croire en poursuivant son chemin : Terre-Neuve, l'Armée, les cargos, les
pétroliers et même le commercial à terre...
C'est ER-ORANGE qui lui a permis de franchir toutes ces étapes.
Cependant, en 1971, Jean est en panne d'inspiration. C'est pour cette raison qu'il a décidé de repartir
sur les pétroliers ; une fois de plus, il faut bien se raccrocher à ce que l'on connaît quand cela va mal.
Mais 1971 va être une année tournant pour Jean.
A ce propos, il me demande : "Tu crois dans le destin, toi Agnès ?....."
Je lui réponds que je crois en l'intuition des êtres humains et en l'intelligence émotionnelle, celle du
cerveau droit, celle qui fait faire des choses inconsciemment, cette intelligence qui lui a été très utile
dans son parcours...
Jean poursuit : "Quand il m'a manqué les 2 cm pour faire le métier de gendarme et de policier ça a été
décevant mais ce métier dont je rêvais je l'ai trouvé après, avec un coup de main du destin..." (Jean
reste attaché aux valeurs et croyances aidantes de BO-VIOLET)
En effet, alors qu'il s'apprête à retourner sur les pétroliers, il fait une rencontre inattendue pendant sa
tournée de livraisons à Dinan : son vieux copain Roger.
Roger travaille à la maison d'arrêt de St Malo : il ne navigue plus, il gagne bien sa vie, il vit auprès de
sa famille et il a un uniforme comme celui des policiers !
C'est alors un véritable insight pour Jean. Celui-ci se concrétise quand il rencontre le directeur qui lui
donne les documents pour passer le concours.
Il se concrétise encore un peu plus quand Jean apprend que le prochain concours a lieu juste avant
qu'il ne reparte pour les pétroliers.
Cela plonge Jean dans un grand état d'excitation : "Je m'y voyais déjà ! Faut pas que je rate ce
tournant de ma vie qui est le bon cette fois-ci !"
Mais il y a plusieurs obstacles à franchir :
- Obtenir l'accord de son épouse pour déménager là où il sera affecté
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BO-VIOLET est encore bien présent dans le système de valeurs de Jean et celui-ci n'envisage pas de
changer de métier contre l'avis de son épouse. Il se trouve qu'elle accepte !
- Etre reçu au concours
Porté par ER-ORANGE Jean se sent habité par "la gagne", c'est à dire l'envie intense de réussir et se
placer parmi les meilleurs. Il est reçu 30ème sur 150 candidats !
- Suivre avec succès la formation
Jean suit une formation pendant 3 mois avec examen de sortie (tir à la carabine etc) en région
parisienne. ER-ORANGE est de nouveau activé et le succès est de nouveau au rendez-vous : "Je
peux te dire que j'étais motivé mais motivéééé !!! J'étais heureux !!"
- Avoir une affectation satisfaisante
Rennes étant déjà pris, Jean choisit Rouen, Orléans, Fontainebleau et Chambéry.
ER-ORANGE lui permet de trouver un deal avec un de ses collègues avec lequel il, échange
Chambéry contre Caen.
Ainsi, cette fois-ci le changement vertical a lieu car les 6 conditions sont réunies :
- Jean possède le potentiel cérébral (son cerveau a les capacités d'adaptation à FS-VERT)
- il n'existe plus de problèmes
- Jean a ressenti deux dissonances : son métier de commercial qui ne lui plaisait pas et le fait qu'il
s'apprêtait à repartir en mer à contrecoeur
- il vit un insight en rencontrant Roger qui lui donne l'idée de faire le même métier que lui
- il lève les obstacles les uns après les autres
- Roger lui offre toute l'assistance dont il a besoin
C'est ainsi que Jean débute alors sa carrière à la maison d'arrêt de Caen.
La PNL considère que la chance n'existe pas. D'ailleurs, la sagesse populaire ne dit-elle pas que "La
chance sourit aux audacieux" ?
9. De 1971 à 1997 : un nouvel état alpha
Jean s'installe confortablement dans cet état alpha. Durant ses 26 ans de carrière, il vit de temps en
temps des changements horizontaux.
• La maison d'arrêt de Caen.
Jean savoure ses nouvelles conditions d'existence : "Je suis rentré dans un métier, comment
dire......le bonheur !"
BO-VIOLET est bien présent pendant ces premiers temps à travers :
- les anciens : "J'ai été pris en charge par les anciens qui nous ont bien mis dans le droit chemin pour
bien travailler (je les ai toujours écouté les anciens parce que c'est eux qui ont raison)"
- la famille : "J'ai eu ma 2ème fille et j'avais donc mes 2 petiotes auprès de moi !"
ER-ORANGE lui permet de continuer à avancer dans sa stratégie : au bout de 6 ans et demi Jean a le
droit de demander une mutation. Il demande et obtient Rennes : "Moi j'aimais les établissements
moyens (600 personnes), tu travailles mieux."
FS-VERT lui donne accès à la notion de bonheur
• La maison d'arrêt des femmes de Rennes
La Centrale des femmes de Rennes est une population pénale qui n'est alors gérée que par des
surveillantes de sexe féminin, y compris le chef d'établissement, car à l'époque les hommes n'ont pas
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le droit d'être en contact direct avec les détenues. Les surveillants hommes sont cantonnés aux portes
principales.
Jean est donc affecté aux portes où il occupe un poste qu'il juge assez vite trop monotone. Mais très
vite la chef d'établissement le fait évoluer au poste de vaguemestre (tri du courrier et démarches
administratives au palais de justice et à la cour d'appel pour la population pénale).
Un peu plus tard, la chef d'établissement souhaite qu'il passe le concours interne de surveillant. Or le
principe d'interdiction de la mixité pose problème puisqu'il lui interdit d'exercer sa fonction dans cet
établissement.
Jean n'est donc pas très motivé par ce poste : "Je ne voulais pas partir ailleurs, j'avais trouvé mon
équilibre entre travail et famille."
La chef d'établissement lui assure qu'il n'y aura pas de problème ("Pas de souci, je m'en occupe !").
Jean passe donc les examens, est reçu et devient 1er surveillant avec 16 hommes sous ses ordres.
Mais au final, on lui laisse sa fonction de vaguemestre, on lui demande par ailleurs de remplacer au
pied levé une collègue vaguemestre à chaque fois qu'elle était absente. Cela fait donc trois casquettes
en même temps.
ER-ORANGE provoque chez Jean une réaction de défense ; celle de son beefsteak en l'occurrence !
"Je savais que mon travail était fait à la perfection alors je voyais pas pourquoi on m'en donnait plus !
Tant mieux pour eux mais tant pis pour moi !! (le contrat n'est pas gagnant-gagnant...).
Quand j'allais à TN j'avais un travail bien défini, je le faisais comme mes collègues, point final. On ne
te disait pas "fait ça en plus !" Quand j'ai navigué sur les pétroliers c'était la même chose, j'étais
garçon du commandant on me disait pas "Tiens tu vas aller dans la machine tout à l'heure ou alors tu
vas aller sur le pont donner un coup de main" ! Chacun avait son travail bien attribué.
Et c'est pour ça que quand je me suis trouvé dans cette situation là, je me suis dit "Mais qu'est-ce qui
t'arrive ??" L'argent n'a jamais été en cause, ce qui m'a mis hors de moi quand j'ai pris le taureau par
les cornes c'est que c'était inacceptable ce qu'on me faisait faire.
Jean active son CP-ROUGE et râle...rien ne se passe alors il accroche dans son bureau un "Piou
piou" offert par une de ses collègues compatissante où est écrit "N'abusez pas de ma
gentillesse"...message placardé à l'attention de sa chef en guise de provocation !
Entre temps la chef d'établissement part à la retraite et la mixité devient légale.
Mais rien ne change pour autant...
Jean voit encore plus rouge et décide de monter dans la hiérarchie...mais rien ne change.
Jean voit décidément de plus en plus rouge et décide de saisir une opportunité de se présenter à la
direction à Paris en accompagnant les syndicats qui s'y rendaient dans le cadre de revendications.
Pour autant, Jean ne voulait pas se servir du syndicat pour défendre ses droits : "Parce que j'avais
pas confiance, j'ai voulu me défendre moi-même, je ne voulais pas que le représentant syndical ne
sache pas parler pour moi J'ai voulu y aller parce que j'étais sûr de ce que j'allais expliquer, je n'avais
pas besoin de porte parole, j'étais sûr de me faire comprendre."
Jean m'explique qu'il s'est syndiqué juste "par simple camaraderie".
Jean parvient à être reçu par le directeur et à lui exposer ses revendications. Non seulement il obtient
ce qu'il souhaite, à savoir occuper le poste pour lequel il a été nommé sans avoir d'autres tâches à
effectuer en sus, mais par ailleurs on lui propose la mutation de son choix !
• La maison d'arrêt des hommes de Rennes...
Jean part travailler à la maison d'arrêt des hommes de Rennes où il terminera sa carrière : "26 ans au
total ! 6 ans et demi à la maison d'arrêt de Caen et 10 ans à la maison d'arrêt des femmes de Rennes
! Du coup, j'ai fait une carrière exemplaire une fois de plus et les doigts dans le nez !"
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Jean ressent un véritable accomplissement : "J'ai accompli quelque chose que j'avais toujours
recherché !"
Je lui demande en quoi le métier de surveillant remplit tous les critères qu'il recherchait et ce qu'il a
ressenti en l'exerçant :
- la tenue identique : proche de celle des policiers et des gendarmes
Jean a un grand respect pour le métier de policier et de gendarme : "Aujourd'hui, c'est un corps de
métier qui me tient toujours à coeur et que je respecte à 100%. Pour moi la gendarmerie c'est quelque
chose...pfiouu...!!"
- la mission de surveiller des personnes enfermées : la tolérance et la compassion lui
permettent adopter la posture adéquate
Jean cultive ainsi ses valeurs d'ouverture à l'autre et à la différence. Il n'y a pas de vérité objective :
derrière chaque être humain emprisonné se dessine une carte du monde.
Dans ce contexte, l'intelligence émotionnelle prime sur l'intelligence logique, ce qui est une magnifique
expression de FS-VERT à présent bien installé dans le système de valeurs de Jean:
"Le travail de surveillant c'est un peu de la psychologie. Le dialogue est très important et tu dois être à
son écoute. Et même si peu en plus lui rendre service (tout en restant dans le droit chemin, c'est à
dire respecter le surveillant), ça lui remonte le moral.. c'est comme ça que j'ai fait ma carrière
"- les médias parlent de "gardiens"pffff...c'est du bétail ou un immeuble que l'on garde ! En maison
d'arrêt on surveille des PERSONNES qui sont incarcérées, on parle de "population pénale". Qui que
ce soit, dans le cours de sa vie, ne peut dire qu'il n'ira jamais en prison un jour. Car être incarcéré, faut
pas croire, ça peut arriver à n'importe qui, j'ai vu du voleur de poule au colonel !
- tu vas sur des galeries, tu ouvres la cellule pour que le gars sorte en promenade etc ou même dans
des ateliers pour aller travailler...en somme, tu travailles avec lui.
- tu as dialogues avec eux, ça ça m'a plu ! parce que c'est des gens qui avaient besoin d'avoir
quelqu'un pour parler, chose que moi, ça me convenait très bien, parce que ce métier de surveillant
c'est d'abord un métier social, pour celui qui veut bien le comprendre.
C'est avec le surveillant que la personne, une fois mise en cellule et qu'on ferme la porte est seule
entre 4 murs et des grilles, voilà. Là, c'est un choc pour elle. Et mon travail n'était pas d'être contre
ces personnes là et les enfoncer davantage (chose que j'ai connue de la part de certains collègues).
Certaines personnes pétaient les câbles, faisaient des TS...j'ai connu ça maintes et maintes fois, et
bien d'autres choses !
Donc à partir de là, celui qui prenait ce travail dans le bon sens, comme moi, ça se passait mieux pour
les personnes incarcérées.
Et quand je rentrais chez moi le soir j'étais heureux, j'avais fait du bien à cette personne là et je sais
que le lendemain la 1ère chose quand j'ouvrais la porte il était heureux de me voir "bonjour chef"...
Il pouvait compter sur moi et je pouvais compter sur lui pour quoique ce soit."
On peut dire que pendant ces 26 ans de carrière au sein des maisons d'arrêt, Jean a intégré
pleinement FS-VERT dans son système de valeurs.
Cet FS-VERT bien installé laisse peut être une ouverture sur A'N' JAUNE dont les capacités
cérébrales possèdent les caractéristiques suivantes : souplesse et adaptation aux circonstances et au
contexte.
En effet, lorsque Jean me raconte son "épopée", je détecte une bonne estime de soi qu'il exprime au
travers de :
- sa compétence
- sa flexibilité
- son indépendance : Jean a pris une certaine distance par rapport à l'attitude décalée de ses
collègues. Il exécute son métier de surveillant de façon indépendante, presque détachée car il sait
qu'il ne fera pas d'amis dans ce milieu-là : "J'ai connu des collègues "c...", des types qui n'en avaient
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rien à foutre de ces gens là qui étaient enfermés. Ils n'ont rien compris à leur travail et ont été infâmes
toute leur carrière !
Et ça je l'ai jamais admis. Tu comprends pourquoi je ne me suis pas fait beaucoup d'amis dans ce
travail ?..."
Jean a pu se hisser à chaque niveau d'existence grâce aux précédents conformément au principe de
l'olarchie. Il me livre en ce sens, un exemple intéressant lorsqu'il compare son travail de terre-neuva et
celui de surveillant. Beaucoup de choses se passent de manière identique sur un chalutier et dans
une maison d'arrêt !
"J'ai retrouvé le côté des Terre-Neuvas :
- une tâche bien définie pour chacun : Jean a déjà depuis longtemps compris et intégré cette façon de
faire : "On était 8 surveillants dans la journée pour une population de 350 personnes, chacun avait son
travail bien à lui et ça tournait".
- les conditions environnementales auxquelles Jean est largement habitué depuis ses 16 ans : "J'ai
retrouvé aussi...comment dirais-je...cet enfermement-là, je l'ai retrouvé comme sur les bateaux, c'est
simple à comprendre : à bord d'un bateau, c'est une prison flottante ni plus, ni moins.
Moi j'ai pas eu le choc vraiment de me retrouver avec des gars enfermés puisque j'y étais déjà habitué
!
D'ailleurs, tu retrouves le même vocabulaire :
- les galeries (les rambardes du bateau)
- les coursives (idem sur un bateau)
- les cellules (les cabines du bateau)
- les réfectoires (idem sur un bateau)
- tu travailles alternativement le matin, l'après-midi et la nuit (les quarts de nuit effectués sur le bateau)
- la seule différence, c'est que la prison c'est un bateau qui ne bouge pas !
Jean ne changera plus jamais de métier...
10. Le temps de la retraite
En 1998, Jean connaît une nouvelle étape, celle de la retraite. Il l'accueille avec enthousiasme, y
voyant l'opportunité d'exister et non plus seulement vivre : "Après mes 26 ans de bons et loyaux
services à Rennes, je me suis dit qu'il était peut être temps de "lever le pied", "profiter de la vie".
J'interroge Jean sur les motivations qui dictent cette envie de "lever le pied" et "profiter de la vie" :
"- C'est quitter Rennes et retourner au pays"
- se réhabituer à ne plus être actif, rester...disons...pas "à ne rien faire", c'est pas le mot, mais ne plus
avoir...euh...ah oui ! ne plus avoir de montre ! Ça ça m'a marqué !! Ne plus avoir d'horaires ! C'est ce
que j'appréciais le plus, voilà.
Je lui demande : "Qu'est-ce que ça t'a apporté de ne plus avoir d'horaires ?"
Jean réfléchit : "Ben....." (ses yeux vont dans le visuel construit...il se joue quelque chose d'important
mais je calibre que Jean se retient de l'exprimer)
J'insiste : "C'est quoi l'image que tu as, là ?"
Il me répond alors : "C'est de me reposer ! Oui voilà, le repos ! Et puis ne plus avoir toujours un
supérieur et puis aller au travail. Ca c'est très important pour un retraité."
Je poursuis en lui demandant : "Et ne plus aller au travail ça t'apporte quoi ? à part te reposer ?"
Il me dit en souriant : "Une nouvelle liberté ! Tu es libre de tout, libre de tes mouvements, tu peux faire
ce que tu veux de ta journée. ce qui permet aussi de prendre des loisirs permanents et de s'occuper
de la famille davantage, prendre les petits enfants en vacances....................."
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Au bout de plus de 9 heures d'interview, c'est la première fois que Jean me parle de LIBERTE !
NIVEAUX DE VALEURS APPARENTS
BO-VIOLET :
? les liens familiaux, agrandis avec l'arrivée des petits-enfants
? le retour à Saint-Malo, "au pays", aux racines
FS-VERT :
? se reposer ("lever le pied")
? faire les choses par plaisir, prendre des vacances ("profiter de la vie")
? faire ce qu'il veut ("ne plus avoir de supérieur au-dessus de soi")
? prendre le temps, disposer de son temps ("ne plus avoir de montre")
? être LIBRE (Jean devient intarissable !)
12. Quelques mots sur le développement durable
A propos de la pêche de masse, Jean s'exprime :
"La société, ceux qui nous gouvernent, y compris sur le plan international, les élus n'ont jamais rien
fait quand nous étions des centaines et des centaines de navires internationaux qui détruisaient les
fonds. Je trouve ça inadmissible. C'est pour ça que la grande pêche à la morue s'est éteinte ! Une qui
l'avait bien vu sans doute avant moi et avec qui j'ai eu l'occasion d'en parler avec elle puisqu'elle m'a
dédicacé son livre, c'est Anita Conti.
Aujourd'hui encore, je viens de tomber sur un reportage à la tv sur les bateaux qui sont en mer
d'Ecosse qui font le merlan bleu , eh bien il y a un bateau allemand qui est pris à parti par
Greenpeace.
C'est un très gros chalutier allemand qui est un pélagique, et qui détruit parce que lui, ce qu'il amène à
bord, il choisi que le gros poisson et il rejette le petit ! Alors là...ce bateau là il est dans le collimateur
de Greenpeace. Tout le monde le sait et personne ne fait rien ! Et on est en 2014 !
Et les ressources vont s'épuiser et comme on a fait sur les bancs de Terre Neuve, car la morue c'est
un poisson qui pond des oeufs et si elle n'a pas eu le temps de se reproduire, à la fin les derniers
terre-neuvas comme Lionel (Martin) n'ont eu que du petit poisson et c'était la fin. Parce qu'on ne
pouvait pas saler du petit poisson."
NIVEAUX DE VALEURS APPARENTS
FS-VERT :
? parfaitement informé des méfaits de la pêche à outrance et des ressources de la planète qui
sont en danger, on ne peut que constater que FS-VERT est bien installé dans le système de
valeurs de Jean
12. Synthèse
• L'histoire de Jean : une quête du Saint Graal ?
Clare W. Graves disait :
"A chaque étape de l'existence humaine, l'être humain adulte avance dans sa quête du Saint Graal,
de la manière de vivre tel qu'il le souhaiterait.
Au 1er niveau, il est en quête de la satisfaction automatique de ses besoins physiologiques.
Au 2ème niveau, on cherche un mode de vie sûr et ce niveau est suivi, à son tour, de la recherche
d'un statut héroïque, du pouvoir et de la gloire, puis d'une recherche de la paix ultime, d'une
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recherche du plaisir matériel, d'une recherche de relations affectueuses, de la recherche du
respect de soi et de la recherche de la paix dans un monde incompréhensible.
Et quand il s'apercevra qu'il ne trouve pas cette paix, il se mettra en route pour la quête du 9ème
niveau.
A chaque niveau de sa quête, il croit avoir trouvé la réponse aux problèmes de l'existence. Pourtant, à
sa grande surprise, il est consterné de découvrir que la solution n'est pas celle qu'il avait trouvée.
Chaque niveau le laisse déconcerté et perplexe.
C'est tout simplement qu'à chaque fois qu'il a résolu un groupe de problèmes, il en trouve un nouveau
à sa place. Sa quête est sans fin."
Jean a cherché pendant près de 15 ans le travail qui lui convenait...Si on résume son parcours, il a
tout d'abord été Terre-Neuva, puis militaire en pleine guerre d'Algérie, matelot dans la marine
marchande, garçon de salon sur les pétroliers, commercial à terre...pour enfin, réaliser le changement
vertical qui allait lui permettre d'effectuer une carrière de 26 ans dans le secteur pénitentiaire !
• Quelques réflexions purement PNListes
A propos des méta-programmes (voir page 10) :
- On peut noter que Jean possède des méta-programmes résolument "PROACTIF" et "ALLER VERS",
tous deux propices au changement : il n'attend pas que l'action vienne des autres et se fixe des
objectifs. Il est impulsif, prend les initiatives qu'il juge nécessaires pour avancer dans sa vie et mène
chaque fois son action à terme.
Ses phrases sont courtes, son style est direct avec des onomatopées et beaucoup de verbes d'action.
Il aime parler de ce qu'il fait, en disant par exemple :
"Moi je suis d'un caractère très déterminé, je suis volontaire, si j'entreprends quelque chose je vais
jusqu'au bout. A partir de là, moi je ne voulais pas me désister en rien. J'avais décidé d'y aller, j'y
allais."
"Paf un coup de fusil dans ma tête. J'ai eu un coup de cafard à rester comme ça à terre. J'ai tapé du
poing sur la table...Il y avait un bateau à terre qui avait notamment pour fonction d'aller en mission
jusqu'en France, il faisait des allers-retours. Je me suis dit "C'est ça qu'il me faut !! Comment
embarquer là-dessus ?..."
"Ma mère et ma soeur étaient auprès de moi et me disaient : "Tu crois que ça va marcher ? Moi je
répondais tout simplement : "Je ne sais pas, on verra !" ou encore : "Je me dis : "Oh la la la la, où je
mets les pieds ?.......bon, c'est pas grave""
- Toutefois son méta-programme est "REACTIF" quand il ressent le besoin d'un cadre :
"La discipline : Tu dois obéir aux ordres, marcher au pas, j'avais toujours quelqu'un au-dessus de moi
J'ai toujours été discipliné et j'aime ça. Je l'ai toujours connue, dès mon plus jeune âge. J'ai toujours
obéit à mes parents, à l'école (chez Les Frères, ça rigolait pas !)"
A propos des valeurs et critères - nominalisations et équivalences concrètes :
J'ai soumis Jean à un questionnaire afin de mettre en exergue ses valeurs les plus importantes.
Elles se sont révélées sous la forme des nominalisations suivantes : générosité - famille - succès -
amitié - reconnaissance - volonté
Je lui ai demandé dans un second temps de me préciser ce que ces nominalisations signifiaient pour
lui afin d'identifier ses équivalences concrètes et les croyances qui y sont rattachées.
Je ne suis pas allée au-delà afin de préserver le système de valeurs et croyances de Jean. Dans le
cadre d'une thérapie, il va de soi que ce travail serait largement approfondi.
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? Dans la carte du monde de Jean :
- la générosité, c'est : "donner autour de moi, être près des autres, leur donner du bonheur, des
conseils, faire réussir les autres".
- la famille, c'est : "ce qu'il y a de plus important, quand on crée une famille ça doit toujours être dans
le bon sens : permettre la réussite des enfants dans leur vie et leur donner beaucoup d'amour".
- le succès c'est : "réussir, donner beaucoup de soi-même dans le travail, les examens pour atteindre
un objectif professionnel, ne pas être dans le besoin, aller de l'avant, aller jusqu'au bout de ce que l'on
entreprend, faire moins mais le faire bien".
- l'amitié, c'est : "ce qui compte le plus, je vis avec ! c'est aimer les autres, se faire aimer des autres,
être heureux quand ils soit heureux (leurs sourires, leurs mots gentils...car quand on est malheureux,
ça se voit tout de suite)".
- la reconnaissance, c'est : "la réussite dans le travail à travers des symboles et des signes de la part
des supérieurs (par exemple j'ai reçu la Médaille d'honneur pour travail exemplaire à la fin de ma
carrière pénitentiaire, Lionel Martin, lui, a reçu la Cravate du Mérite maritime qui est la plus haute
distinction, ce sont des récompenses comme les bons points et les croix qu'on recevait à l'école !...si
tu ne fais rien, tu es mis de côté..."
- la volonté, c'est : "vouloir réussir dans le travail, dans la vie sentimentale, je suis un volontaire, j'ai
toujours cherché des choses que j'ai bravées, j'ai toujours pris le taureau par les cornes, avoir le
courage de viser plus haut...par exemple, pendant mon service militaire j'ai quasiment accompli un fait
d'armes en plongeant à la place d'un collègue qui ne savait pas nager pour aller chercher une torpille
qui était coincée".
* *
*
67
Conclusion
Transposer les concepts et mécanismes de la Programmation Neuro-Linguistique dans un domaine
aussi particulier que celui de la pêche à Terre-Neuve m'est apparu comme un exercice inédit et m'a
confortée dans l'idée que cette discipline était un puits sans fond.
Lionel Martin qui a vécu soixante-quinze campagnes à Terre-Neuve et huit dans le Grand Sud nous
pose la question à propos des Terre-Neuvas : "Qui étaient-ils ? Des audacieux ? Des courageux ?
Des malgré eux ? Des obligés ? Des aventureux ou des inconscients ?".
Je me suis employée à apporter un début de réponse à travers la PNL.
La Spirale Dynamique est une théorie encore assez peu connue et l'adapter à mes lectures puis à
l'histoire de Jean m'a fait l'effet de brandir un outil performant sans en posséder réellement le mode
d'emploi.
Aussi, mon travail nécessite d'être appréhendé, non pas comme une analyse juste et exhaustive des
niveaux d'existence et de leur évolution chez les Terre-Neuvas mais comme une expérimentation de
mes connaissances débouchant sur des propositions.
Etablir la socio-genèse du Grand Banc pourrait en être une suite logique.
En effet, à l'heure où Greenpeace et WWF alertent et appellent à l'éco-certification de la pêche, que
penser de ce qui fut dit à une époque antérieure au sujet de la Grande Pêche : "Tout poisson que l'on
prend est une pièce de monnaie que l'on retire de la mer" ?
Comment ne pas faire de parallèle entre l'évolution de l'humanité et celle de la pêche à Terre-Neuve ?
Apparue au 16ème siècle (suite aux premières cartes et découvertes des explorateurs), elle a
bénéficié des progrès de la Révolution Industrielle du 19ème siècle (apparition de l'homme-machine),
a sans doute connu les 30 Glorieuses...traversé les dizaines années suivantes pour acquérir de
nouvelles valeurs et commencer, peut être, à se positionner en FS-VERT (cessation de la pêche à
outrance, protection des ressources de notre planète, libération de l'homme de son exploitation).
Cela justifierait une étude complète de la Grande Pêche. Autant de belles découvertes à faire encore
sur les bancs de Terre-Neuve avec la PNL...
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Remerciements
A l'association "Mémoire et Patrimoine des terre-Neuvas" de Saint-Malo qui m'a accueillie
chaleureusement et sans laquelle je n'aurais jamais pu réaliser ce travail.
A Jean, pour sa confiance, sa générosité et pour m'avoir livré ses souvenirs avec authenticité.
A Alain-Michel Blanc pour m'avoir apporté son expérience de réalisateur cinématographique et prêté
son matériel...
A mon cousin Mathieu, capitaine 200, qui m'a initiée aux valeurs du Code de la marine marchande
pendant 13 jours sur un catamaran au large de l'Espagne et du Portugal en octobre 2013 !
A Julien, skipper, pour m'avoir offert l'hospitalité à bord de ce même catamaran...
A l'Institut Psynapse, et tout particulièrement mes formateurs Philippe Vernois et Manuel Kissoun qui
m'ont permis d'être là où j'en suis aujourd'hui.
A Raphaël Mayeux qui m'a initiée à la Spirale Dynamique.
A ma famille et mes amis, pour m'avoir soutenue, encouragée et s'être intéressés à mon projet.
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Sources
? "La Spirale Dynamique - Comprendre comment les hommes s'organisent et pourquoi ils
changent" de Fabien et Patricia CHABREUIL (InterEditions)
? "Un cerveau pour changer" de Richard Bandler (InterEditions)
? "Etre coach, à la recherche de la performance" de Robert Dilts (InterEditions)
? "La fantastique épopée des Terre-Neuvas, recueil de cinq siècles d'histoire" de Lionel Martin
? "Nous étions les derniers Terre-Neuvas, 9000 jours sur la mer" de Lionel Martin
? "Le Grand Métier, journal d'un capitaine de pêche de Fécamp" de Jean Recher (Plon - Collection
Terre Humaine)
? "Histoire de la Grande Pêche de terre-Neuve" de Robert Loture (Ed L'ancre de Marine)
? "La Grande Pêche de Terre-Neuve et d'Islande" d'Abbé Grossetête (Ed L'ancre de Marine)
? "La vie maritime à Saint Malo et Cancale au début du siècle" de Bertrand de Quénetain (Ed
L'ancre de Marine)
? "Sur le Grand Banc - Pêcheurs de Terre-Neuve, Récit d'un ancien pêcheur" (Ed L'ancre de
Marine)
? "Terre-neuvas, l'impitoyable métier. Récit d'un jeune mousse" de Pascal Bresson (Ed Ouest-
France)
? "Racleurs d'océans" d'Anita Conti (Petite bibliothèque Payot)
? Film documentaire "Mémoires de Brumes" de Alain-Michel Blanc (Cinérgie Productions)